"Un jour mon père est parti travailler comme tous les matins et il n’est pas revenu". Comme pour tant d’autres familles comme celle de Nisha, de ressortissants asiatiques (Inde, Pakistan), d’origine arabe ou simplement musulmans de n’importe où, depuis le 11 sept de l’année dernière, le quotidien se vit dans une certaine angoisse. Le racisme et la suspicion à l’encontre des ressortissants de ces communautés dans les Etats-Unis post-attentats a même pris une tournure dramatique méconnue avec une vague d’arrestations et d’internements sommaires.
Internements illimités
Nisha est membre du collectif DRUMNATION, Desis Rising Up & Moving, une association de migrants asiatiques fondée en 1999. Centrée à l’origine sur la communauté indo-pakistanaise, ils ont progressivement élargis leur champ d’action aux autres "minorités visibles" [1]... aux luttes dîtes "anti-mondialisation" et à l’éducation populaire.
Orientée à l’origine dans une démarche de soutien économique envers les plus pauvres, Drumnation, basé à New York oeuvre énormément au niveau juridique dans les centres de rétention, depuis le 11 septembre, pour faire le lien entre les familles et le système pénal américain, à Big Apple et dans le reste du New Jersey.
La plupart des gens arrêtés le sont en raison d’infractions mineures, censément générales mais essentiellement liées à des problèmes de visas et d’immigration. Ces arrestations au faciès touchent même des résidents permanents. Par exemple pour le père de Nisha son visa était dépassé d’une journée, et, alors même qu’il devait retirer le suivant, il a été arrêté et détenu plusieurs jours sans que sa famille n’aie de nouvelles, puis finallement relâché sans être heureusement expulsé. Il est résident aux Etats-Unis depuis une vingtaine d’années.
Avant que la guerre au terrorisme soit déclarée, lorsque vous étiez arrêtés pour de tels motifs, vous étiez rapidement libérés après quelques vérifications. Le travail de DRUMnation est d’entrer avec les avocats dans les prisons où sont détenus les migrants avant leur déportation pour obtenir leurs identités, prévenir les familles, leur apporter conseils et soins.
Le Patriot act permet de maintenir en détention illimitée des migrants arrêtés mais non expulsables si ils sont soupçonnés d’activités mettant en danger la sécurité nationale. La plupart des inculpés sont des réfugiés économiques arrêtés sur le chemin de leur travail.
L’INS (Immigration and Naturalization Service) a aussi à son actif de nombreux internements illimités d’Haïtiens, notemment à Miami, depuis que l’administration Bush a décidé de mettre un frein à leur arrivée massive aux Etats-Unis.
Nisha, voyageant en europe, a fait escale au campement No border pour comparer son expérience militante avec celle d’européens. Elle en eut l’occasion au cours de longues conversations à côté de la tente du MIB avec des activistes béninois, camerounais et canadiens.
Ca arrive près de chez nous
Le MIB, mouvement de l’immigration et des banlieues, est un mouvement d’auto-organisation et de représentation de différentes générations, principalement issues des migrations de travail de l’après guerre à nos jours [2] et de leur descendance. Ils se battent sur différents terrains mais ils sont surtout connus pour leur lutte contre les violences policières et la double peine.
Je me souviens de l’émotion que m’avait laissé leur cortège, lors d’un de mes premiers séjours à Paris, dans une manifestation de soutien aux sans papiers : l’âge et la variété de ses militants , des femmes, des hommes et nettement moins d’ados désabusés et vaguement concernés par un peu tout comme ceux que j’avais l’habitude de cotoyer, mais des asiatiques, des maghrébins et des africains adultes habités par la rage, la conviction et l’energie du desespoir. Avec le MIB on est pas chez-des-sympathisants-de-soutien : on est en plein dedans et on ferme sa gueule.
Le MIB c’est juste l’opposé de SOS Racisme. C’est une passerelle vers plus de dignité, pas un stage d’apprentis PS. Bref. Le MIB était présent au côté des No Border et du Festival permanent contre les lois racistes à Strasbourg. Outre leur tente, présentant leurs luttes, des documents et des supports de soutien (le MIB est soutenu par quelques groupes de hiphop comme Assassin) ils animèrent une "caravane" dans différents quartiers périphériques de Strasbourg.
De l’autre côté du Rhin
Le droit allemand concernant les demandeurs d’asile a la particularité de comporter une clause d’obligation de résidence.
Selon le Residenzpflicht, tout réfugié se doit de demeurer dans la zone où il été enregistré durant toute la durée de l’instruction de son dossier (ça peux durer des années). Ces "arrondissements" sont déterminés en fonction de l’endroit où les migrants sont enregistrés et ne tiennent pas compte de la géographie pratique des villes. Il leur faut alors demander un permis payant pour sortir de ces zones, comme pour aller faire des courses ou aller chez le medecin. Ces permis sont évidemment difficiles à obtenir...
"Pour les réfugiés, il est quasiment impossible de ne pas agir contre la loi sur l’obligation de résidence. Nous sommes automatiquement criminalisés dés que nous mettons nos pieds en Allemagne. [3]
L’administration allemande semble en plus, recouper les dossiers sociaux et d’autres dossiers administratifs , (comme croiser les immatriculations de véhicules et les allocations de type rmi) ce qui dans le cas des migrants sans papiers est une catastrophe... et applique aussi une forme de "double peine" pour les gens condamnés à des peines de plus de trois ans. En outre, un migrant ayant obtenu une situation régulière à l’occasion d’un mariage perd ses droits en cas de divorce.
Le champ du residenzspflicht a été étendu dans certains landers et rend la vie quotidienne extrêmement difficile. Ces mesures renforcent l’isolement des migrants et leur capacité à s’organiser et se défendre, les maintenant dans un vide politique et représentatif. Pourtant des associations ont réussissent à se faire entendre . The VOICE e.V. Africa Forum est l’une d’entre elles.
Nous sommes ici parce que vous dévastez nos pays !
Fondée en 1994 par des des réfugiés, protestant contre leurs conditions de vie dans des foyers de demandeur d’asile, The Voice e.V. est considéré par l’Etat allemand comme une organisation étrangère. Faire le lien entre la lutte contre le racisme et pour les droits des réfugiés en allemagne et les luttes pour le respect des droits de l’homme en Afrique mais aussi en Amerique Latine ou en Asie, tel est le positionnement de cette association de migrants radicaux. Travaillant les stratégies de résistance et de désobeissance civile, The voice est une organisation de militance globale.
Pour Edouard [4] membre de TheVoice, alors que les manifestations en centre-ville devenaient plus périlleuse et que la question de la présence de réfugiés et de sans-papiers en dehors du campement commençait à sérieusement se poser, il fut hors de question de cesser de se rendre aux manifs : " Rien que le fait d’être ici est pour nous un danger d’arrestation et d’expulsion, on n’a pas de raison de s’arrêter". En effet, la plupart étant sous le coup du residenzpflicht, leur sortie d’Allemagne les exposait de toutes façons à un arsenal de différentes peines ou d’expulsion au moindre contrôlé d’identité sur le sol français. Oui, mais quand même...
A nouveau, les parcours et la détermination des migrants cloue au sol. Ils sont enthousiastes là où on esquisse des sourires cyniques. Les échanges dérivent des papiers aux identités, le temps s’étire au bord du Rhin, les rejetons indignes, indignés et exigeants parlent aux hommes en mouvement. D’un bout à l’autre de la chaîne logique de la sous-humanité. Toujours au fond de la calle du bateau, d’un bout à l’autre des diasporas et des contrôles au faciès... Comment faire entendre toutes les voix, celles de ceux sans-papiers et de ceux qui viennent juste après. De ces européens, de ces américains qui seront toujours trop quelque chose, foncés, voilés, bridés, toujours suspects même avec des papiers... D’abord soutenir l’urgence puis penser les liens, les expériences communes, les divergences...
A suivre sur le sujet :
Minorités visibles, manifestations et traitement médiatique (non encore publié)