Bob Log III, le Rémi Bricka psycho-blues

, par Jerome

En ces temps de revival punk-rock un peu frelaté nous téléportant 20 ans en arrière - avec pas mal de gens qui seraient en mesure de réclamer des droits d’auteurs, de Gang of Four à E.S.G -, le descendant de la dynastie Log (dont on se demande ce qu’ils foutent dans leur biberon), lui, semble avoir arrêté d’écouter de la musique depuis au moins, oh, voyons les années 30. L’ancien euh...chanteur ( ?) guitariste des défunts Doo Rag revient de temps en temps faire le pitre dans ce qui ressemble autant à des concerts qu’à des numéros de foire. Où on trempe des tétons dans du whisky (mais ça on vous explique plus tard). Et oui. Pour ceux qui font une thèse sur les nombreuses bizarreries du rock’n’roll, ouvrez-une nouvelle section : ’le seul mec à jouer de la guitare et de la batterie en même temps en combinaison fluo avec un casque de moto sur la tête’.

Évidemment, pas sûr que cela assure à Bob Log The Third autre chose que de lui valoir une mention parmi d’autres excentricités rigolotes, mais à voir l’état de la foule agglutinée au premier rang du Metro Club à Londres (7 mai 2003), comme sans doute partout ailleurs, ses prestations scéniques lui vaudront un petit culte. Mais, mis de côté l’aspect du type qui se déguise en n’importe quoi pour faire le malin, son pastiche de blues est une affaire plus sérieuse qu’il n’y paraît. Et il faut dire qu’il faut une bonne dose d’obstination pour faire ce genre de pitreries depuis 10 ans.

Electric white boy blues

Car Bob Log n’est pas un total inconnu, on l’avait croisé avec son compère Thermos Malling au sein de Doo Rag lors d’un concert mémorable aux Transmusicales de Rennes en décembre 1995, et vu jouer devant 50 pékins médusés (légère erreur de programmation qui les faisait passer à 18 heures). Le spectacle tel que l’on pourrait se le représenter consistait en : un type avec des grosses lunettes assis derrière un de ces doubles micros chromés en forme d’obus, brailler des trucs absolument incompréhensibles tout en maltraitant une espèce de Dobro en faisant un bruit épouvantable (Bob Log) ; un autre gugusse en chapka était occupé à cogner sur un ensemble de bidules censés former une batterie (restes de caddy, bobines de projecteurs, boîtes de conserve, cartons), et hurlant par intermittence dans un téléphone Playskool (Thermos Malling). Hilarant et excitant, quelque chose comme une version delta blues de Pussy Galore passée à différentes vitesses. A l’époque où Beck venait de remettre la slide guitar à la mode, Doo Rag pouvait à la rigueur passer pour le membre lilliputien et psychopathe de la famille revivaliste qui sévissait vers la fin des années 80 et qui extrêmisait le bon vieux rock’n’roll (Pussy Galore) ou le blues bien gras (Workdogs). Logiquement d’ailleurs, Thermos Malling ira faire un caméo sur quelques titres de Now I Got Worry, dernier album à peu près potable du Jon Spencer Blues Explosion.

On alla trouver à la suite du concert les deux loulous dans un renfoncement de l’Ubu de Rennes où ils étaient occupés à ne pas vendre de T-Shirts et à tromper leur ennui, Bob Log III en s’imbibant de whisky et l’autre en jouant au yo-yo, avec une expression pas sans rappeler celle d’Averell Dalton. A l’issue d’une conversation complètement embarrassante pour cause de mauvais anglais d’un côté et d’idées franchement brumeuses de l’autre, on appris que ces gens-là venaient de Tucson, Arizona, ce qui devait sans doute expliquer bien des choses.
Notamment qu’après le troisième concert de cette soirée (Dirty Three), on les retrouvait sur le trottoir séparant l’Ubu des locaux de France 3 Bretagne faisant un set impromptu à l’aide du mobilier urbain, devant des passants un peu effarés. Peut-être faisaient-ils la sérénade à Roger Gicquel, je ne sais pas [1]. Il faisait un froid de canard, et c’est la première et dernière fois que j’ai vu un type jouer de la guitare avec des moufles.

Bref, des martiens.
Doo Rag a laissé à la postérité deux albums, Chuckled and Muddled (1994), au son pourri et rocailleux, essentiellement composé de reprise de Mississipi Fred Mc Dowell, et le très bon What We Do(1995) offrant une palette un peu plus large mais dont le son peut être qualifié également de quand même franchement boueux. Un peu à la manière dont les Cramps revampaient le rock en se vautrant dans le kitsch des séries B, C et Z des années 50, Doo Rag, qui devaient tenir le 78 T comme l’ultime accomplissement de la technologie, faisaient subir un lifting lo-fi au blues tout en en gardant avec sincérité et jubilation les fondamentaux, et le son crade, sauvage et sexuel de guitaristes comme Blind Lemon Jefferson, Mississipi Fred Mc Dowell ou l’harmoniciste Sonny Boy Williamson, ou encore, plus près de nous, le papy jonspencerisé R.L Burnside. Certainement une des tentatives les plus convaincantes depuis Beefheart de faire du blues blanc, tout en étant sûr de se mettre tout le monde à dos. What We Do reste comme une bizarrerie qu’on est fier de montrer, à la fois parce que c’est barje, attire des regards du genre ’mais qu’est-ce que c’est encore que ton truc ?’, et que c’est éminemment jouissif. A l’heure où on ne peut pas ne pas lire quelque part que le dernier White Stripes a été enregistré dans un studio de l’East End londonien qui représentait le dernier cri de la technologie en 1957 (plan marketing qui s’est bien vendu, sans qu’on voie vraiment en quoi ça fait avancer le schmilblick, et pourquoi ça nous donnerait l’envie d’écouter ne serait-ce qu’une seconde les White Stripes), on a envie de ressortir un Doo Rag et de sortir une remarque de vieux con style de dire que ces gars-là sont suffisamment barjes pour être réellement vintage tout en faisant le maximum pour que l’on ne l’entende pas.

Doo Rag n’a musicalement pas constitué en termes théoriques ce que l’on appelle une avancée, mais a bien fait régresser la notion de lo-fi. Bob Log doit être quelque part entre le nerd collectionneur de 78 T de blues en cire, laque (shellac) ou vinyle que Steve Buscemi joue dans Ghost World et un punk qui aurait décidé de faire de la musique en écoutant les Butthole Surfers ou les Fugs.

Le retour de l’homme-orchestre


Doo Rag, après sa carrière un peu confidentielle, semblait avoir disparu de la circulation. Thermos Malling s’est sans doute désintégré ou enseigne le yo-yo. Puis voilà que son ex-compère ressurgit dans les bacs il y a quatre ans, sur une pochette en tenue de human cannonball, ce qui laissait penser que, non, ça n’allait pas mieux. Et donc, après l’avoir loupé aux Trans 2001, on l’a vu le mois dernier, tout seul, sous son nom à lui, faire son Rémi Bricka destroy. Dans le bric-à-brac des premières parties mal bricolées du concert au Métro, on oubliera vite les Gin Palace et un rockab’ pas très inspiré, et dont la seule mention vaut pour imaginer l’hypothèse où les Cramps se seraient affublés d’une chanteuse déguisée en Bernadette Chirac, pour rigoler un peu sur les anglais britanniques des Country Teasers, qui ne semblent pas près d’oublier leur cuite, si l’on en juge par l’air hagard du bassiste qui ne semblait plus trop se souvenir par quel côté de la scène il devait sortir. On mentionne le groupe parce qu’au jeu des comparaisons à trois balles, ça sonnait comme une collaboration entre Tammy Wynette et The Fall dans un état d’ébriété complètement lamentable.
Ou des ballades country punk jouées par Devo. Enfin.
Le guitariste ’solo’ avait l’air de sortir du casting de Délivrance, le bassiste l’air au-delà de l’hébêté, et le frontman avec son costard trop petit, son physique pré-pubère, ses grosses lunettes en plastiques et ses chaussures rafistolées avec du scotch, pouvait vraiment faire croire qu’il avait dû passer sa tendre enfance à se faire taper dessus quotidiennement par l’équipe de football d’une junior high school du Middle West. Lui manquait juste le Gaffophone. Difficile de savoir si c’est une pose ou si c’est définitivement un excentrique.

Sur le mode du type qui a une cabine où il se change pour mettre une tenue pleine de super-pouvoirs, le même type, tout ce qu’il y a de plus normal, qui installait son équipement pendant que les Country Teasers allaient et venaient en se cognant dans tous les poteaux possibles de la salle, déboule sur scène en tenue d’obus humain, combinaison violette lamée, et coiffé d’un casque sur la visière duquel est fixé un combiné téléphonique. Quelque chose entre Jack Nicholson dans Easy Rider, un personnage de Shériff Fais Moi Peur, un mutant et un type qui a des bizarres façons de surmonter sa timidité. Rien n’a changé dans le monde de Bob Log III depuis 8 ans, qui va produire l’heure et demi suivante le même boucan psycho-blues. Sauf que désormais il joue et de la guitare et de la batterie (avec les pieds) en même temps, et je sais pas vous, mais moi ça force le respect. Pas techniquement, juste sur le plan ’il faut avoir les couilles’ (ou autres) pour le faire, et en plus sans avoir l’air d’un con. Dans cette tenue. Rien d’extrêmement différent, la même recette, ça sonne toujours comme si vous écoutiez par le lavabo vos voisins en train de passer du Howlin’ Wolf, l’homme a juste cette capacité de rendre un bon concert drôle. Évidement, c’est relativement dur de garder son sérieux quand un type dédie une chanson à son doigt, décide de délivrer le ’morceau joué le plus rapidement au monde avec les yeux bandés’ (en fait une sorte de caleçon enfilé sur le casque) et quand le clou du concert consiste en un rituel où le performer invite l’audience à venir traîner ses tétons dans ses deux verres de whisky - le désormais fameux concept du Boob Scotch.

Ca sonne comme du Jean Marie Bigard, là, mais à entendre le rire primesautier du Bob Log III à l’exhibition d’excroissances mammaires anglaises (mâles, puis femelles), on sentait que le petit bonhomme était toujours étonné et amusé de son effet, et il faut le voir pour comprendre que c’est un peu moins beauf que ça en a l’air. L’effet est assuré d’ailleurs, puisque les gens viennent pour voir un zigoto de première - c’est même assez dommage de le cantonner au rang de simple curiosité. Apparemment le Bob Log III est suffisamment pris au sérieux pour être signé sur le puriste et prestigieux label blues Fat Possum, et ça serait un peu dommage que le gugusse soit simplement renvoyé au rang de mariole intempestif. Tom Waits aime beaucoup, on ne sait pas si c’est une recommandation qui vous va, mais ça fait un peu sérieux sur un cévé. Quatre albums sont déjà sortis sur Fat Possum, tous avec des pochettes assez hideuses : on est bien sûr pas obligés de les avoir tous, mais ils peuvent donner une bonne idée de la jubilation à imaginer un rodéo animé par un évadé des Einstürzende Neubaten.

Bon, allez, marre du petit jeu des comparaisons/références à la con, on défiera justes les disquaires et médiathécaires du monde entier de trouver une bonne catégorie pour les disques de Bob Log The Third : Blues Lo-Fi ? Indie-Trash-Blues ? Delta-Blues Punk ? Fucked-Up One Man Band ? On optera pour blues punk dansant et exaspérant, et on en finira là. Et on conclura en disant qu’un jojo comme Bob Log vaut tous les petits groupes pseudo punk du moment, sans la morve au nez et l’ego qui enfle après avoir fait la couv’ de magasines branchés.

Notes

[1Pour ceux qui se demanderaient ce que Roger Gicquel vient foutre ici, ou pour ceux qui se faisaient du souci pour lui, mentionnons qu’il a retrouvé une place dans la petite lucarne et une certaine popularité grâce à une émission style ’choses du territoire armoricain’. Ce n’est plus la France qui a peur, mais la Bretagne. Donc, si vous voulez tout savoir sur les méthodes artisanales et ancestrales d’élevage de l’andouille de Guemené ou les secrets de Thorigné-Fouillard, capitale mondiale de la galette saucisse, ou la langue gallo telle que parlée à Poilley, Ille-et-Vilaine, regardez France 3 le samedi à l’heure du déjeuner.