Bobby Conn à the End, 11/12/2002

Bobby Conn à the End, Londres, Lundi 11 février 2002

Le flyer proposait de venir vérifier soi-même si Bobby Conn est l’antéchrist
qui va sauver l’humanité ou une arnaque a deux balles (rien n’indiquait par
contre si vous aviez le droit de rosser le chanteur en cas de
mécontentement, ç’aurait été beaucoup plus drôle).

Après avoir avoir loupé un concert le samedi précédent pour des raisons
diverses (entre autres la ponctualité douteuse d’un des jeunes gens
sévissant dans ces colonnes), me voilà donc embarqué un lundi soir pour
aller voir un concert à 11 h 30, de surcroît dans une boîte. A cette
heure-là, pépé a la viande dans le torchon depuis longtemps et ne traîne pas
dans les rues.

Tout cela en plus pour aller voir si le nabot caractériel sybarite est
vraiment l’entertainer/perfomer qu’il prétend être. Et avec pour tout bagage
un souvenir vaguement amusé de la discographie du bonhomme : un vieil album
d’easy-listening mélant avant-garde et bossa, une reprise crissante de "69
année érotique" chanté en yaourt (la langue) sur une compile Skin Graft, un
titre de folk tordu avec l’ubiquiste Jim O’Rourke ("California", sur la compile
Chicago 2002 ), d’un maxi parfaitement azimuté sonnant comme Prince
animant un bal musette après avoir ingéré des quantité de drogue
complètement délirantes (et massacrant un titre de Whitney Houston) et d’un
album de..euh..post-heavy-glam d’un mauvais gout sidérant. Bref, drôle,
hédoniste et flirtant souvent avec l’anecdotique. Le clown post-rocker
chicagoan est réputé pour ses shows imprévisibles et bordéliques, mais était
parait-il à côté de la plaque aux dernières Trans.

Le mieux, dans ces cas-là, c’est d’aller juger par soi-même.

Au milieu des branchés

Evidemment, un concert annoncé à 11h30 un lundi soir, ça fait très original,
dans une boîte, pourquoi pas ?, mais ça fait du temps à attendre, ajoutant
l’impatience à la méfiance. Et, une fois les portes ouvertes, accessoirement
un temps incalculable à glandouiller au milieu des fashion victims ­ et
Bobby Conn se pointera avec plus d’une heure de retard. Je dois apparemment
être le seul membre des masses laborieuses à m’être déplacé, les gens autour
semblant tous sortir du swinging London circa 1967 d’Antonioni. Là,
évidemment, avec mon petit T-Shirt Shellac tout crasseux (évidemment,
crétin, tu n’es pas obligé de porter des T-Shirts rock, à ton age on t¹avait
dit que ça faisait con), j’ai la vague sensation de vivre un mauvais
chapitre de Houellebecq. L’inévitable cohorte d’étudiants japonais oisifs
débarquent se délecter des ultimes caprices décadents de l’Occident. Tout
cela est très désagréablement "hype", et je m’occupe en essayant de trouver
un prétexte bidon pour arriver la tête dans le cul au boulot, ou pour ne pas
aller au boulot du tout (ce qui sera l’option). Il y a même un clone de
Twiggy. Je maudis le promoteur de ce concert et continue à siroter ma bière
comme un con.

This is Spinal Tap : Bobby Conn et son freak show

Bobby Conn et sa troupe de freaks débarquent enfin et c’est à se pisser
dessus. Putain, c’est Spinal Tap, en survêts nylon Décathlon (mauves, verts,
roses), et tous maquillés comme Kiss. Quelque chose entre un mauvais foutage
de gueule des années 70 sur Canal Jean-Marie Messier et une troupe d’aliénés
ayant mis leurs plus belles fringues pour le bal de l’HP. Pour compléter le
tableau, trois des membres sont d’authentiques hardos kitsch, faisant les
langues à la Kiss et les cornes de la mort, Bobby Conn himself ressemble à
une sorte de Johnny Rotten nain reconverti en G.O du Club Med et coiffé pour
la circonstance de la perruque de Mireille Mathieu, et sa violoniste de
femme évoque une Linda Blair (L’Exorciste) tellement possédée qu’elle
s’est faite elle-même sa coupe de cheveux. Curieux allez-vous me dire pour
quelqu’un qui a joué avec la crème avant-garde de Chicago (des Tortoise,
Julie Pomerleau, Thymee Jones,etc..), mais pas tant que ça. Et pendant que
je glandouillais à siroter ma bière, ces zozos-là justifiaient leur retard
en consommant sans doute plus de cocaine qu’Al Pacino dans Scarface et
arborent des yeux plus rouges que ceux d’un foutu lapin albinos, bien
réhaussés par leurs maquillages blafards. Que faisait la brigade des stups
ce soir-là ?

Sex, drugs and rock’n’roll relooké Gilbert Tricano

Côté prestation, c’est d’un mauvais goût totalement assumé, et appelle
l’épithète bien francomtoise de festif. Le mot d’ordre sera : régression
totale. C¹est de la parodie au vingt millionième degré auquel on serait bien
chien de ne pas sourire, faite avec mi-sérieux, mi-décontraction
j’m’en-foutiste. Le bonhomme attaque avec "Angels" et l’hymne partouzard
funky "Free love" et je serai bien en mal de vous trouver quelque chose
qui ressemble à ça. Sans doute une sorte d’hybride entre James Brown,
Prince, les New York Dolls, Dean Martin, Megadeth et des millions d’autres.
Pour le côté survolté au bord de la possession, disons une sorte de Jon
Spencer pygmée jouant dans Austin Powers. Après avoir exhorté la foule à
faire des trucs cochons et autres attouchements, le Conn se lance dans une
sorte de ballade en français ­ qui sonne curieusement comme du serbo-croate
­ puis le concert devient un peu mou du bide avec une succession de parodies
heavy post-modernes (c’est un peu ce qu’on lui reproche, à Bobby, de faire
du rock parodique un peu hermétique), puis finit dans une sorte de frénésie
trash metal aussi convaincante que des gens en survèt jouant MC5. C’est
drôle, complètement disjoncté, rien n’est épargné (et surtout pas des vrais
soli de guitares bien hard-rock avec le type qui se branle trois heures sur
son manche de guitare et suggère un cunniligus avec sa langue fourchue), et
le nabot de lancer quelques sarcasmes, de prendre des poses de crooner, de se
suspendre à peu près partout où on peut se susprendre dans une salle de
concert (plafond, micros, gens) , et ses musiciens de se foutre copieusement
de sa tronche. Le concert se termine sur un des miaulements fétiches ("O
baaaaaby c’mon c’mon c’mon ! ! !
") et un des métallos délaissant son survèt
pour mettre les sous-vétements lamés aux couleurs de l’Union Jack offerts
par un membre féminin de l’assemblée (sans doute une coutume locale, au
concert de PJ Harvey, quelqu’un lui avait lancé son soutif’).
Bref, manic. Bon, cela dit, tout cela est très fun, pour tout dire
anecdotique. Disons que si vous êtes assez blasés des concerts post-rocks
aussi charismatiques qu’un fer à repasser, que les groupes de musique
bruyante vous semblent bien inoffensifs, ce genre d’entertainement pour
dandies est effectivement une petite curiosité, une sage récréation dans
l’enfantile et le mauvais goût. Marrante et vite oubliée. Disons simplement
que voir une vraie troupe de furieux jouer les gugusses comme les très
sous-estimés US Maple prouve être nettement plus consistant.
Mais, bon, sur, ce gars-là se retrouve chouchou de Technikart sous peu. On
vous a prévenu.