Cencinquantenaire de rien (2/3)

, par LaPeg M. 

Après les cafouillages de Durban et pendant les délires des "reparationnistes", la suite de notre roman
feuilleton "l’esclavage c’est cool, c’est jamais vraiment fini"

RAPPEL : 1998 fut l’année d’une série d’évènements ratés (la remise de la légion d’honneur au dernier tirailleur Sénégalais, la régularisation des sans papiers, la mort de Chevènement…) et de la non commémoration du cent cinquantenaire de l’abolition de l’esclavage.

(...) Que l’on ne célèbre que timidement la fin de l’esclavage pose problème car la traite, la déportation et ses suites coloniales ont modifié le visage du monde. Car c’est bien toute la face du monde dans ses aspects les plus variés qui a été modifiée : innombrables sont les choses les plus banales de notre quotidien dont l’usage c’est répandu grâce à l’exploitation esclavagiste. Ca aurait pu se faire autrement mais c’est comme ça que ça c’est passé, c’est par l’esclavage et la déportation des noirs que s’est répandu l’usage du café, du chocolat...

La traite négrière est un moment clé de l’histoire mondiale qui nous mène, de même que d’autres étapes (politiques, scientifiques...) à la prospérité globale du XXe siècle occidental : ce n’est pas un détail de l’histoire. La généalogie du peuplement du "nouveau monde " est circonstanciée par la Traite et ses conséquences sont multiples en Afrique, en Amérique du nord comme du sud.

Alors qu’on signe l’abolition de l’esclavage, la France étend son hégémonie sur l’Afrique, l’Asie. Aux Etats-Unis c’est une guerre civile que ça déclenchera. Les rues cases nègre sont aujourd’hui des clubs de vacances (véridique voir la plantation Leiritz, en Martinique) .

Pour certains dont je suis, c’est comme si le club med s’installait à Bergen Belsen, sauf que, apparemment ça ne dérange pas grand monde : après tout ça, comme le crack, c’est une histoire de nègres, on s’en fout. Mais en fait c’est faux.

Tristement, cette histoire en concerne plus d’un car, de la construction intellectuelle qui a permis de justifier l’esclavage à celles qui ont sous-tendu la colonisation (ça c’est pas qu’une affaire de négros) il n’y a qu’un pas qui fut aisément franchi. De là, on arrive rapidement à aujourd’hui, sans faire de raccourci expéditif, au traitement plus général des immigrés de toutes sortes cette fois-ci, dans ce pays (voir sans papiers).

C’est une seule et même conception de l’Altérité qui permet de faire des hommes les instruments rationalisés d’un commerce, d’une industrie au même titre que des navires, des matières premières, des bénéfices, des usines à délocaliser et ce, que ces hommes soient Noirs un jour, indigènes puis immigrés un autre, employés du textile ou de l’industrie automobile tout à l’heure (liste non exhaustive) .

C’est vrai qu’en France on n’est pas trop fort pour les mea culpa quand on ne digère pas quelque chose, c’est dur de revenir dessus. Je me rappelle qu’en terminale avec des copains de classe il a fallu batailler dur pour que la prof d’histoire change son titre de cours : pour parler de la lutte d’indépendance algérienne, elle n’avait trouvé rien de moins que de titrer "Le cancer algérien" (titre qui au demeurant ne dérangeait pas beaucoup d’élèves, trop prompts à avaler n’importe quoi sans y réfléchir, l’objectif n’étant pas la connaissance, mais le bachotage, c’est vrai). Donc revenir sur certains aspects du passé, des fusillés pour l’exemple à la collaboration , ça fait mal aux seins en France.

Donc, ne refaisons pas le passé, évoquons le encore un peu, succinctement , et passons au présent. Résumer en quelques lignes le fait colonial serait une tâche impossible, tant ce fut un enchevêtrement complexe d’intérêts divers (économiques, politiques,religieux, geostratégiques....) Ses effets sont tels qu’il est dur de dissocier les ravages des "bienfaits".

Entre une volonté hégémonique et une mission civilisatrice auto proclamée, la colonisation prit des aspect multiples dont il est d’autant plus difficile de rendre compte sans passion (vade retro les méchants blancs ...) qu’entre un monde pré-colonial fantasmé, rousseauiste et la vision d’un tiers monde sombrant jour après jour de plus en plus dans le chaos, la colère peut facilement l’emporter. Cette période est révolue et s’il est facile d’identifier les crimes, il est impossible de dire les apports sans se placer dans une perspective évolutionniste qui tend généralement à réduire les apports en termes technologiques. Comment évaluer ce qu’a changé la colonisation sans avoir d’échelle, de vrais points de comparaison ?

Ce que l’on peut faire c’est montrer quelle place la France réserve à ses ressortissants nègres, quelle visibilité elle leur donne.
Les "hommes de couleur" deviennent citoyens français suite à l’abolition de 1848, et devraient donc jouir des mêmes droits et devoirs même si ce n’est pas vraiment le cas, évidemment, faut pas rêver.

En 1946, sous l’impulsion de personnes comme Aimé Césaire (maire à vie de Fort de France, Martinique et poète de la négwitude), la Martinique, devient un département français, ce qui ne fait pas plaisir à tout le monde je le rappelle, même si la proposition de loi est adoptée je crois à l’unanimité. Ce qui en dérange certains, et ce depuis le suffrage universel, c’est que si les Noirs, majoritaires, se mettent à voter, ils vont élire d’autres noirs, et les îles vont retomber dans la barbarie, parce que forcément on ne peut pas vraiment faire confiance à ces grands enfants, incapables de s’organiser politiquement sans guerroyer.

Lorsque sont évoqués, aujourd’hui une improbable indépendance des départements d’outre-mer on oppose leur relative prospérité économique (comparativement aux autres îles de la caraïbe pas aux autres départements) aux échec patentés que sont Haïti, la Jamaïque, et par extension les trois quarts des pays africains, comme révélateurs d’une incapacité intrinsèque, presque génétique, à gérer la bonne marche politique d’un pays, tant les négros ne sont habitués depuis des temps immémoriaux qu’à la barbarie ou à la servitude.

La liberté, la démocratie n’est pas bonne pour les négros ( comme elle n’est pas bonne pour les chinois ou les russes à en croire certains). On oublie souvent de rappeler comment les dirigeants de ces pays, formés souvent aux même écoles que les élites occidentales (intégrant donc les même pratiques, les mêmes aspirations, les même travers...) furent et sont souvent acteurs du même jeu politique que ceux qui les critiquent, on évite parfois de dire comment ces différents états sont le terrain de jeu des différentes grandes puissances politiques (guerre froide) ou économiques (industriels, FMI — voir la catastrophe jamaicaine par exemple)dans une grande partie de Monopoly où, avec l’accord de toute le monde — la vide "communauté internationale"—, les opposants démocrates vont direct en prison et où les despotes, sans passer par la case élection, tirent une carte chance (par exemple:v ous épuisez les sols et l’écosystème, ou encore : vous massacrez la moitié de la population, ça fait de la place et puis on dira que c’est tribal) ou une carte caisse de communauté (le roi c’est moi, les caisses de l’état c’est moi).

Le Noir est le négatif ultime de la civilisation occidentale, sa plus forte altérité et quels que soient les justificatifs — les références bibliques voir : la malédiction des fils de Cham (Genèse, histoire de Noé) puis la pseudo scientificité de la notion de race au 19eme siècle — le résultat est le même : s’installe lentement mais durablement une série de clichés sur la nature profonde supposée des noirs.

La force de ces clichés est telle que certains stigmates peut être même revendiqués par les principaux intéressés ou présent chez ceux que j’appellerais les "amis des noirs" comme il y a des amis des animaux. [Et, oui, on trouve toujours des négrophiles comme il y a des aquariophiles : voir toutes les phrase qui commencent par : "ce que j’aime bien chez vous les noirs", "franchement les noirs il me font trop kiffer".]

Pour beaucoup, aujourd’hui encore, les noirs sont, par nature et non pas par culture, donc par essence, joyeux (content content), ont un goût prononcé pour la transe et la danse, sont superstitieux de manière irraisonnée, sont nonchalants et indisciplinés... Ces individus qui furent et sont souvent toujours taillables et corvéables à merci sont fainéants, nonchalants, ils se la coulent douce.

Je me demande si les agriculteurs qui brûlent impunément tout sur leur passage souhaiteraient vraiment travailler dans les conditions idylliques où travaillent ces antillais poussifs. Combien de fois ais-je entendu ce discours de la bouche de l’un ou l’autre de retour de vacances sous les tropiques ?

Pourtant , lorsque mes cousins (au sens antillais du terme) partent à l’aube couper les bananes, c’est une tout autre chose que je vois. D’ailleurs, les Antilles que je vois ne sont pas celles des voyages de mes copains. Entre les plages du club med, servis par des employés sous-payés et les séjours chez ma grand-tante au fond du Morne Lorrain, c’est vrai qu’il y a un monde.

Le rejet et la fascination sont parfois les branches opposées d’un même arbre : celle de personnes pour qui au final la couleur de la peau compte comme critère distinctif et hiérarchique que ce soit de manière négative ou positive. Dès les années vingt, des mouvements contestataires noirs fleurissent de par le monde, travaillant avec un certain succès au final (c’est à dire today), à revaloriser l’image des noirs pour eux-même et pour les autres. Une fois ce juste retour effectué, il fut force de constater les limites de cette approche (qui fut je le répète une étape obligée) et en France de l’aimécesairisme .

La France de l’assimilation ne cesse pourtant de distinguer ses ressortissants en vertu de la couleur de leur peau : il y a toujours deux sortes de Français : les français et les foncés. Un jour de Gaulle débarquant à la Martinique, lança à la foule un "que vous êtes français", que tout le monde jusqu’à aujourd’hui tourna en un "ce que vous êtes foncés". Au delà du bon mot, voilà une expression de ce qui semble , pour un peu tout le monde , les antiers et les autres, immuable : le renvoi des ressortissants créoles à une distinction biologique. Cette distinction physique qui devrait s’effacer devant les actes revient toujours, même dans les situations qui ne les nécessitent pas et je dirais même d’autant plus qu’elles ne les nécessitent pas. Il existe donc des musiques noires, des littératures noires comme si elles ne pouvaient pas être des littératures et des musiques tout court.

J’ai eu une période de lecture intense de romans policiers français, qu’on appelle aussi communément roman noir : combien de fois me suis-je vu retourner des phrases comme "Ah, oui, moi aussi j’aime bien Patrick Chamoiseau". Pour moi, les romans de Chamoiseau c’est de la littérature point. Pas noire, puisque ce noir là, c’est celui d’une vision béhavioriste du monde (dixit Patrick Raynal, sympathique gardien du temple), qui si elle renvoie certes aux traits maléfiques qui sont associés à la couleur noire, et qui furent par extension associés, il est vrai, aussi à une "nature" nègre renvoie plus à la dureté de la vie urbaine qu’à autre chose .

Certains préfèrent utiliser du coup le mot "black", mais ça a le don de m’énerver grave, je préfère utiliser Nègre parce que ça gêne mes copains, ça fait un peu chier le monde et ça, j’aime bien.

Un jour que j’écoutais Hendrix, en Martinique, quelqu’un me demanda d’arrêter cette musique de blanc, ce qui m’a fait bien rigoler, autant que le reggae du label On-u-sound, travaillé de main de maître par ce nègre d’Adrian Sherwood. Que la culture soit sans cesse confondue avec la nature , outre l’agacement, me paraît symptomatique d’un travers que cultivent aussi bien les différents racismes que les légitimes réactions identitaires des mouvements de la Négritude (de Marcus Garvey à Aimé Césaire en passant par les Rastas ou certains rappeurs et j’en passe...).

Il semble pour presque tous dans une unanimité bon teint, que les Noirs sont une communauté, alors qu’à part la peau, une donnée biologique (qui d’ailleurs est l’occasion d’une hiérarchie géniale, je vais y revenir), je vois d’énormes différences entre, un antillais et un afro-américan (puisque c’est comme ça qu’on dit), un malien et un négropolitain qui a grandit dans le Berry, entre Doc Gyneco et moi.

Pourtant, il semblerait que tous les noirs fassent partie d’une même communauté dont les traits ne tiennent finalement peu compte de l’individu mais essentiellement du groupe. En gros , que tu préfères Fugazi à Kassav’, tu es forcément un bon danseur, parce les noirs c’est bien connu, vous aimez bien danser. Ainsi tous les noirs du monde ont un accent spécial c’est pour ça que tout les acteurs noirs américains sont doublés par Greg Germain (c’est bien comme ça il a du boulot). Quand je vois Shurik’N d’Iam (qui a de très bons textes sur l’esclavage d’ailleurs) parler, je crève de rire, ce qu’il peut être marseillais ce négro. En fait tout comme être noir était synonyme d’être esclave, les noirs d’aujourd’hui sont esclaves d’être noirs.

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