Chirac : Jamais Sans Sa Droite

, par Yaroslav

Combattre le risque fasciste, c’est bien. Eviter de cautionner ceux qui banalisent les idées d’extrême droite, ce serait encore mieux.

En 20 ans, la variante Bleu Blanc Rouge de la peste brune est devenue endémique. Elle s’est tellement banalisée que certains semblent oublier que ces idées ne triomphent pas seulement depuis le 21 avril. Il aura fallu que 16,86 % d’électeurs décident de réactiver un cadavre politique pour que tout le monde se rende compte qu’on ne joue pas impunément avec l’insécurité économique, le racisme plus ou moins rampant et la démagogie sécuritaire.

Au milieu des années 80, quand Mégret, candidat du RPR à Conflans Saint- Honorine, écrivait encore les discours de Chirac, Le Pen ramassait déjà 10 % des voix aux Européennes puis aux législatives. Le Premier ministre socialiste de l’époque avait d’ailleurs dit de lui qu’il " posait les bonnes questions, mais n’apportait pas les bonnes réponses ", ce qui correspond à la définition de l’adversaire politique standard. Le Pen commençait déjà à cristalliser sur son nom le nouvel air du temps libéral-sécuritaire.

Celui qui se présente comme le rempart inflexible de la démocratie n’hésitait pas alors à mettre à scène pour gagner quelques voix à droite, un sanglant assaut contre des indépendantistes canaques. Cela se passait entre les deux tours d’une présidentielle où Le Pen fit 1,5 points de moins que le 21 avril. Il faut dire qu’à cette époque –mais le personnel politique est resté le même- certains des députés RPR et UDF se compromettaient dans les voyages parlementaires organisés par feu J.- P. Stirbois à destination de l’Afrique du Sud… cautionnant ainsi sans complexe un régime d’apartheid sous embargo international. Ceux-là n’ont pas été exclus par leur parti, contrairement à Michèle Barzach, dont les positions clairement anti-FN incommodaient la direction du RPR.

Un peu plus tard, le rempart contre le racisme -stimulé il est vrai par un ex- président de la République qui parla de " droit du sang " pour aborder le sujet de l’immigration- convoquait les journalistes pour dire tout haut ce que tout le monde était censé penser tout bas : les immigrés sentent mauvais et se goinfrent des impôts des Français travailleurs. Entre temps, l’homme de conviction s’est successivement fait héros du souverainisme, de Maastricht, de l’anti-pensée unique, de l’Euro, de l’agriculture intensive et de la sécurité alimentaire.

Il y a un peu moins d’un an, persuadé que Le Pen était mort, le grand rassembleur a cru qu’il pouvait faire d’une pierre deux coups en jouant de la grosse caisse sécuritaire : annexer l’héritage électoral du borgne et couvrir le bruit assourdissant de ses casseroles judiciaires. Le la de l’année médiatique a d’ailleurs été donné au cours de cette allocution du 14 Juillet. Si même le président de la République affirmait au cours de la fête nationale que la France était devenue un gigantesque Bronx, les médias se devaient d’illustrer le propos…

Le candidat du débat civilisé a utilisé de manière complètement irresponsable les statistiques sur la criminalité. Omettant de signaler que le mode de décompte avait changé entre temps, il a nourri de chiffres trafiqués la Grande Peur qui, en dégommant dés le premier tour son adversaire le plus dangereux, lui permet maintenant d’être certain d’être élu. Joli coup.

Le problème, c’est que ce rempart n’en est pas un. N’ayant pas à demander les voix de la gauche qui les lui livre sans condition, ce type continue de flatter sans vergogne la réaction la plus droitière de son électorat naturel. Refusant le débat, il évite d’avoir à se démarquer clairement des propositions de Le Pen, il se ménage ainsi la possibilité d’une alliance pour les législatives. Mieux, en étant élu avec plus de 80 % des voix, il aurait les moyens, en donnant des gages politiques (et ministériels) aux candidats FN, de susciter une nouvelle fronde de type mégretiste. Nous n’aurions certes pas Le Pen, mais nous aurions bel et bien l’extrême droite au pouvoir… et pour 5 ans.

Il est très agaçant de voir des abstentionnistes du premier tour faire les gros yeux et piailler " 1933 " à quiconque émettant des réticences au vote Chirac. Ils devraient élargir leurs références chronologico-historiques, cela les renseignerait sur l’efficacité des Fronts Républicains mené avec une droite revancharde. En 1932, au second tour des élections présidentielles allemandes, Hitler a été battu par Hindenburg, le candidat d’une droite allemande conservatrice, militariste et xénophobe élu avec les voix du SPD. Après quelques mois d’intrigues, un accord devint possible entre le NSDAP et certains partis de la droite " classique ", Hindenburg, le rempart de l’époque, nomme alors Hitler chancelier le 30 janvier 1933… alors que les Nazis venaient d’enregistrer une baisse aux dernières législatives.

Dans le chèque en blanc que certains veulent signer à Chirac, il y a 5 ans de droite à la Debré, avec en peut-être quelques ministres mégreto-frontistes pour maintenir le cap et verrouiller l’Assemblée Nationale. Le fascisme et ses cloportes seront alors bel et bien passés.