Chronique d’une disparition

, par Jerome

Près d’un millions d’anglais ont été portés disparus en 2001. De quoi s’arracher les cheveux dans les bureaux des services du recensement britannique et de reçevoir, avec « Morvern Callar » au moins une bonne nouvelle du cinéma anglais.


Il semblerait qu’en France on continue à prendre le cinéma anglais pas très au sérieux, école critique légitimé par une connerie de Truffaut (’le cinéma anglais est une contradiction dans les termes’). Et qu’à part les Laurel et Hardy du cinéma social (Mike Leigh et Ken Loach), ses comédies sociales douce-amères (Billy Elliott et consorts), et son contingent d’humour typiquement british, on continue à regarder le cinéma outre-manche avec une vrai condescendance. Pour ne citer que quelques exemples, le joli The Last Resort sorti dans l’indifférence en France, le brouillon 24 Hour Party People balayé du revers de la Manche, ou la télé complètement branque de Chris Morris (Jam) qui ne semble pas avoir éveillé d’écho.

Cette bonne nouvelle, c’est Lynne Ramsay, réalisatrice qu’un tel préjugé critique condamne à voir sa cote monter dans les festivals sans pour autant que son cinéma ne reçoive l’accueil qu’il mérite. Son deuxième film, Morvern Callar, réussira-t-il à élargir son public, après son beau Ratcatcher, qui se rapprochait du cinéma engagé de Ken Loach tout en prenant son contrepied par un onirisme inventif ? Disons simplement qu’alors que le Jeune Cinéma Français s’enlise avec un panurgisme confondant dans un réalisme subjectif (la très prud’hommienne notion de justesse), Morven Callar est un film complexe, un récit intérieur abstrait et flirtant avec l’expérimental. Devant ce portrait d’une jeune femme se réinventant, difficile de ne pas penser - lâchons le gros mot - à une sorte d’Avventura Kraut-rock/ techno. Intriguant.

En 2001, les fonctionnaires chargés du recensement en Grande-Bretagne se sont arraché les cheveux : près de 900 000 sujets de Sa Majesté se sont envolés dans la nature. Disparus, absents du territoires. Un paradoxe au pays qui peut se vanter d’avoir le plus de caméras de surveillance au monde. Et une vraie saignée démographique dans une population moins importante que celle de la France. Au point de nécessiter un deuxième recompte de la population (et l’encombrement de nos boîtes aux lettres par les lettres de Census 2001). Une génération fantôme.


L’explication ? Près d’un million de personnes manquantes dû ’aux mouvements de jeunes hommes et femmes de vingt ou trente ans vers l’étranger et les scènes rave prolongées dans les pays bordant la Méditérannée’ (The Guardian, 2001). Population aux abonnés absents vivant une rave de deux-trois ans à Ibiza, sur la Costa del Sol, en Grèce ou Ayia Napia (Chypre). Missing in action. La génération hippie s’était perdue vers Katmandou, la génération hédoniste techno, les recenseurs la retrouveront en gravitation permanente à Stansted Airport, ses vols cheap vers les seaside resorts où la bière coule à flot et les free parties abondent. Génération Ecsta/EasyJet.

Prologue démographique pour parler d’une héroïne fantôme. Tiré du livre éponyme d’Alan Warner (publié en France chez Harmonia Mundi, à fuir, traduction pauvre et pleine de contresens), Morvern Callar est une étrange histoire de réinvention de soi, placée au départ sous le signe du morbide : Morvern, 20 ans, caissière de supermarché dans un petit patelin écossais, trouve le cadavre de son boy friend qui s’est tranché les veines, lui laissant pour seul viatique une cassette et un roman qu’il lui charge de d’envoyer aux éditeurs. ’I love you’ - ’Read Me’ - ’Be Brave’. Seulement, Morvern va envoyer le roman à son nom, et avec quelque argent qu’il lui à laissé, se barrer en Espagne avec sa meilleure amie, pour revenir en Ecosse et être publiée - avant le grand départ vers la vie hédoniste non-stop. Pas de love story, pas de success story, on ne pourrait pas trouver point de départ moins sentimental. Le boy friend (jamais vu, jamais évoqué implicitement, il n’est appelé que ’Il’ ou ’Lui’ dans le livre) est rapido coupé en petites pièces, le livre est un cadeau qui lui permettra une transformation en toute innocence. Point de départ bizarre pour un film qui ne cherche pas à produire du sens mais qui cherche à avoir des (sens). On donnerait une fausse idée en parlant de portrait de femme tant la réalisatrice s’éloigne de tout ce qui pourrait ressembler de près ou de loin à de la psychologie et tant elle fuit l’idée de narration classique. Morvern Callar est presque décevant à force d’ambiguité, comme si le film était trop sec et refusait de se laisser prendre. Pour une fois, le titre français (Le Voyage de Morvern Callar) est assez juste, le film privilégiant les moments de transit : Morvern (Samantha Morton, la precog diaphane de Minority Report), est souvent suivie dans des couloirs ou des routes, où elle erre ou épie.


Dans un pays où la moindre brèche à la narration classique envoie au purgatoire artsy-fartsy, on ne s’étonnera pas que le film ait coulé sans laisser de trace en moins de deux semaines (moins d’un mois après sa sortie, on ne pouvait plus le voir que sur un écran à Londres, grand comme un mouchoir de poche), la réaction d’une presse traditionnellement plus favorable comme le Guardian, jugeant le film ’pas très accessible’ montre à quel point Lynne Ramsay à décidé de nous larguer. Le roman d’Alan Warner avait eu un petit succès culte et l’auteur avait même signé un scénario en vue d’une adaptation - bien plus accessible que celle, plus personnelle, qu’en a fait la réalisatrice, qui va à l’épure la plus totale. Si le ton du livre trouvait son originalité dans un récit à la première personne entre innocence, empathie et indifférence, ici exit tous les cadres d’un décor qui pouvait donner quelques clefs : la vie dans un petit port de pêche écossais, les virées arrosées au pub le vendredi soir (avec un type qui boit son whisky à même le poisson), et ses personnages pittoresques, Lutte Finale (le père adoptif de Morvern) ou le Psychonaute (qui égare un bout de doigt en essayant de défoncer sa propre porte et dont le père, sous l’emprise de psychotropes, balance sa jambe de bois à la flotte). Au point même que l’espèce de métaphore du livre - Morvern part pour son ultime voyage en Espagne au moment où Lutte Finale, syndicaliste cheminot, se fait virer - qui établissait une sorte de contrepoint entre la E-Generation et la ’disparition de la classe ouvrière’, est absente du film, brouillant un peu plus les repères.

Si le livre semblait se baser sur les contradictions entre d’une culture que son hédonisme renvoie à son matérialisme (et que Warner ne semble pas juger, par ailleurs, avouant comme la réalisatrice avoir eu un passé turbulent), Lynne Ramsay amène son film dans une direction où aucun mec n’aurait oser s’aventurer. Tout est suggéré par des petites touches, incorporé, jamais explicite. Morvern reste la jeune fille délurée sans tabous (mais non sans une certaine innocence), mais sa quête est ici à un autre niveau, plus sombre peut être, délaissant l’approche libération féminine du roman. Il s’agit ici autant de réinvention que d’effacement. L’impression de grâce que donne le film vient de ces moments faits de sensations et de plaisirs simples - un crépuscule où Morvern regarde des dizaines des draps jetés par les fenêtres des chambres de ces villages vacances où les touristes anglais se retrouvent entre eux, la visite faite dans un cimetière en compagnie de ses éditeurs, le vernis à ongle séché au soleil espagnol. Si l’Autre est toujours là, c’est au moyen de la compilation qu’il lui a laissée et qui ponctue les étapes du voyage. Car en plus d’être une réalisatrice talentueuse, Lynne Ramsay réussit à faire ce qui est malheureusement très rare, faire un film avec une grande B.O complètement justifiée (Can, Holger Czukay, Aphex Twin, Boards of Canada, Burt Bacharach, etc…le disque est sortit chez Warp). Les morceaux qu’écoute l’héroïne sur son walkman n’illustrent ou ne soulignent rien, la réalisatrice juxtaposant les sons, ou coupant abruptement dès le début, comme ce Spoon de Can dont on entend à chaque fois les premières notes de basses et de synthé, et qui s’arrête à chaque fois. Comme un mix très personnel des émotions de Morvern tout au long de son périple. Qui finit où ? La narratrice du prochain film de Lynne Ramsay sera une jeune fille morte ; la fusion que cherche Morvern à la fin ressemble plus à une disparition dans une longue rave continue, un abandon au milieu d’une foule en mouvement perpétuel. Une énigmatique histoire de fantôme.

P.-S.

P.S : Causant B.O et ciné anglais, un chroniqueur d’un mensuel parisien branché demandait récemment si foutre Godspeed sur la B.O de son nouveau film allait rendre sa crédibilité à Danny Boyle. Disons tout de suite qu’il faudra bien plus que les déprimés canadiens pour faire oublier des horreurs comme Trainspotting, et que Danny Boyle est tout sauf Lynne Ramsay, qu’il utilise la musique comme un cochon, mais que 28 Days Later fait partie de nos petits plaisirs coupables. Et qu’on assume. Parce qu’on aime bien les films de zombies, et qu’il faudrait beaucoup de mauvaise foi pour dire qu’on n’est pas resté par moments scotché au siège. Essentiellement en raison de son ultra-violence. Il y est question de rien moins que l’apocalypse, puisqu’à la suite d’un virus quelconque, une épidémie de rage se répand, les gens tournant en sorte de zombie enragés super-méchants et teigneux comme tout. Un pauvre gusse se réveille après un coma à l’hôpital, et traverse Londres complètement vidée de ses habitants, avant de tomber sur un nid d’infectés qui puent de la gueule à la nuit tombée. Et évidemment, de trouver quelques survivants avec qui s’enfuir à l’aide d’un scénario bête comme chou (enfin quoique, c’est anglais donc forcément il y a un côté cul pervers). C’est quelque part entre Mad Max et La Nuit des Morts Vivants, il y a une séquence à la cambrousse complètement ridicule, une fin à pleurer, des méchants militaires (ça c’est bien), une B.O vilaine comme tout (Crawdaddy !), dont un morceau de GYBE ! dont on voit pas bien ce qu’il vient foutre là mais bon. Dans l’ensemble ça défoule. Boyle a tourné le film en DV, lui permettant de tourner dans un Londres vide, ce qui a de la gueule. Les infectés sont bien aussi. Ca merdouille quand Boyle essaie de suivre Romero et de faire dans le subversif (un clin d’œil pas très inspiré au Jour Des Morts Vivants), mais aussi quelques bonnes idées et pas mal de trucs prévisibles (l’inévitable scène de tunnel avec la bagnole qui tombe en panne). Ca va rien révolutionner du tout, mais pour se faire un petit plaisir adolescent. ..Ca sort le 8 mai en France. D’une manière plus générale, 28 Days Later montre aussi les côtés franchement positifs de l’avènement de la DV, le film de Danny Boyle faisant part d’un renouveau du genre gore en Grande-Bretagne qui a vu pas mal de petits films à petits budget débarquer sur les écrans (My Little Eye, sorte de Big Brother qui tourne mal, et Deathwatch) -la plupart rendus possibles grâce à des conditions de tournage allégées et renvoyant à la grande tradition du film d’horreur britannique (Hammer Films dans les années 50 et 60). Pour des résultats souvent honorables, et beaucoup moins bidons que le tentatives française dans le genre (le risible Promenons Nous Dans Les Bois).

Interview de Lynne Ramsay
Sortie du film le 5 mars.