Cities for Peace : les villes américaines prennent position

, par Alfred

On comptait des millions de manifestants rassemblés pour s’opposer à une intervention américaine en Irak, le weekend passé. La plus grosse manifestation anglaise de tous les temps, 3 millions de personnes à Rome, Madrid, les foules les plus nombreuses envahissant les capitales de pays européens ayant apporté leur soutien à George W. Bush Jr. Dans la lettre au Wall Street Journal. Et vraiment, avait-on jamais vu ça ? On ne compte pas le Nouvel An, bien sûr.

Et les Américains, alors ? Les chiffres sont moindres, mais on doit se rappeler que la manifestation n’est pas une forme d’expression très usitée de l’autre coté de l’Atlantique ; les rassemblements du type Million Man March restent des exceptions, et les 300 000 personnes de la manif new yorkaise sont une petit victoire en soi. Le mouvement anti-guerre américain, comme le notait récemment Chomsky, est déjà mobilisé avant même que celle-ci ait commencé, là où l’opposition à la guerre du Vietnam avait mis des années à atteindre les mêmes proportions. Et ce mouvement ne se cantonne pas à la gauche américaine ; il ratisse large, et regroupe des soutiens des plus inattendus. L’opinion méricaine ne se limite en effet pas aux immondices déversées par la presse Murdoch et à son pendant télévisé Fox, qui dans la grande tradition Hearst aura déclaré la guerre à l’Irak avant même que les troupes américaines s’amassent au Moyen Orient. S’acharnant à démonter les opposants à la guerre par le biais notamment du très regardé polémiste Bill O’Reilly, Fox n’a eu de cesse de minimiser l’importance du mouvement.

Pourtant, la présence des municipalités de Cities for Peace parmi les composantes de ce mouvement anti-guerre lui apporte un poids non négligeable. Si leur nombre reste réduit (environ 90 à ce jour), les villes américaines ayant passé des résolutions anti-guerre opposent leur légitimité électorale à celle déjà beaucoup plus douteuse du président Bush. Là où il prétend s’exprimer au nom de la nation américaine, ce sont donc des villes représentant quant à elles des millions de citoyens qui lui répondent en affirmant la dissension au sein même des instances dirigeantes du pays. On ne peut que souligner l’importance de ces résolutions, passées jusqu’ici relativement inaperçues. Car les villes concernées sont loin de n’être qu’autant de trous perdus, ou même de bastions gauchistes. Si les votes de San Francisco, ou de villes universitaires comme Berkeley ou Urbana (Illinois) n’auront pas étonné grand monde, tant leur réputation progressiste les précède, la majorité écrasante (46 contre 1) qui a sanctionné le vote de la résolution à Chicago laisse présager une reprise de l’opposition politique plus classique, en un mot démocrate, au gouvernement.

Chicago est ce qui se rapproche le plus d’une capitale démocrate, avec à sa tête le maire Daley, fils de son père de sinistre mémoire (le baron démocrate qui attaqua avec une violence extrême les manifestations de protestation aux portes de la Convention démocrate de 1968, comme il étouffait les dissensions internes au parti durant la convention elle-même). Certes, l’Illinois est un des rares états américains a avoir suivi la tendance inverse aux dernières élections en passant tout entier au parti démocrate là où il s’enfonçait à l’échelle nationale. Mais à l’image de la direction nationale, les Démocrates sont bien longtemps restés frileux, n’osant s’opposer trop fort à un président présenté dans les sondages comme inattaquable. Ce geste semble cependant être un début de fronde locale permettant au parti de tâter le terrain tout en ménageant une position nationale plus consensuelle. Déjà six députés démocrates ont porté devant la justice une plainte rappelant que Bush ne pourrait en cas de guerre la déclarer sans l’aval du Congrès.

Les représentants des villes anti-guerre se sont déplacés jusqu’à la Maison Blanche dans l’espoir d’y être entendus par le président (voir article du Washington Post). Si ce geste est resté vain, il a le mérite de montrer que l’atmosphère qui règne dans la patrie des braves n’est pas aussi unilatérale qu’on pourrait le croire. Si les résolutions n’engagent en rien le président et n’auront a priori aucune influence sur la politique nationale en cas de guerre, elles génèrent cependant l’espoir que le message ait malgré tout franchi les fenêtres de la Maison Blanche. On dit en coulisses que les faucons, auxquels s’opposent de nombreux spécialistes militaires, sont en passe de devenir minoritaires. D’un autre côté, l’armée s’agite de plus en plus devant les caméras dans le Golfe. La fenêtre diplomatique va bientôt se fermer, annonçait récemment Condoleeza Rice ; derrière elle, c’est la fenêtre d’attaque qui risque bientôt de passer, comme le climat se fait plus inhospitalier et selon certains, trop pour envisager une attaque d’envergure. Alors on ne sait pas, bien sûr. Chirac tend des perches, affirmant chez Time Magazine que la présence de l’armée américaine n’aura pas été pour rien dans la paix, si on la conserve. On ne sait pas, mais on espère juste que le Texan s’inspire un peu des Chicagoans, où tout simplement de la ville d’Austin, dans son propre état. Allez va et on fera comme si on était fiers de toi.