Deux définitions du respect : l’affaire Barbershop et la conférence contre le racisme

, par Alfred

Jesse Jackson s’insurge comme un couillon contre un film pendant qu’à la Barbade la lutte entamée à Durban continue ; deux visions du respect dans la diaspora africaine.

Le ridicule ne tue pas dit-on. Et c’est tant mieux, du coup on profitera de la présence du Réverend Jesse Jackson plus longtemps. Ainsi que de celle du Rvd Al Sharpton, et de quelques autres sommités de l’activisme noir américain. Nos deux pasteurs se sont accordés sur la polémique du moment : peut-on rire de Rosa Parks, figure légendaire de la lutte pour les droits civiques aux Etats-Unis, la femme noire qui alla s’asseoir dans un siège de bus réservé aux blancs et devint la figure emblématique de la lutte pour la déségrégation ? Leur réponse : oh mon dieu non, surtout pas, respectez vos aînés s’il vous plait on ne rigole pas avec ça.

A l’origine de la dispute, une scène du film Barbershop, actuellement sur les écrans américains. Cette comédie rassemble entre autres les rappeurs/acteurs Ice Cube et Eve dans une boutique de barbier du quartier noir du Sud de Chicago (Southside). Une intrigue assez mince est prétexte à suivre pendant une journée les employés et habitués de la boutique, les personnages présentant plutôt finement des archétypes noirs américains, la boutique incarnant un miroir de la vie du quartier (avec Harlem) le plus emblématique de la communauté noire américaine. Le film aborde succintement et sans y toucher des sujets aussi variés que le racisme noir anti-africain et les réparations pour l’esclavage. Comédie « noire » réussie et drôle, Barbershop s’est attiré les foudres de certains pour le moment où le personnage d’Eddie, un vieil habitué de la boutique joué par Cedric the Entertainer, provoque les autres personnages présents dans la boutique en énonçant trois choses que d’après lui, les Noirs devraient reconnaître : 1) Rodney King méritait de se faire tabasser rien que pour s’être fait voir au volant d’une Hyundai ; 2) OJ Simpson est coupable, et 3) tout ce qu’a fait Rosa Parks, c’est poser son cul noir dans un bus parce qu’elle était fatiguée. Hué par tous les personnages présents, Eddie explique que Parks est devenu un symbole médiatique mais que la vraie lutte a été menée par des centaines d’anonymes qui avaient fait de même avant et après elle. Un autre vieux outré lui dit : « J’espère pour toi que Jesse Jackson n’entendra pas tes conneries ».

Il a entendu. Et il n’est pas content. Non content d’exiger de la part des auteurs des excuses publiques pour avoir tenu de tels propos, Jackson et Sharpton aimeraient que la scène soit retirée de la version qui sortira en video/DVD. Sérieusement. Jackson explique tout aussi sérieusement que cette blague (ainsi qu’une autre plus tard par le même personnage évoquant les affaires extra-maritales du vénéré Martin Luther King- affaires, soit dit en passant, connues de tous) touche à des personnages historiques sacrés ( !) à qui l’on doit respect et admiration. Oh la Jesse…

Que dire ? N’as-tu donc rien d’autre à faire de tes journées, Jesse ? Tu viellis mal, l’ami. Dans le film, devant le tollé soulevé par ses paroles, Eddie s’insurge et demande : « Si on peut pas dire ce qu’on pense chez le barbier, où peut-on le faire alors ? » Les ministres du culte ont apparemment une réponse à cette question ; et on se voit contraint, avec un peu de tristesse, de dire avec Eddie : « Man, fuck Jesse Jackson !  »

Dans une courte scène du film, quelques personnages discutent le bien-fondé des réparations pour l’esclavage. La question est d’actualité, après la Millions for Reparation March d’Août 2002, mais surtout avant la Conférence Mondiale contre le Racisme des Africains et descendants d’Africains qui se tiendra à la Barbade à partir de demain.

Une autre idée du respect

Cette Conférence est le fait des organisations non-gouvernementales et autres délégations africaines ou issues de la diaspora africaine, à l’issue de la Conférence contre le Racisme de Durban d’août 2001. Il avait en effet été décidé après Durban de poursuivre les efforts ayant mené au texte reconnaissant la traite négrière comme crime contre l’humanité. C’est le Congrès contre le Racisme de la Barbade -au nom de la délégation caribéenne- qui s’y colle, et appelle toutes les organisations africaines et de la diaspora à se réunir à partir de demain à la Barbade pour une conférence visant à définir de nouvelles lignes d’action. Trois points principaux dirigeront les débats :

-  Définir les exigences, les mesures et les projets concernant les communautés africaines et de la diaspora en accord avec Déclaration de Durban ;
-  S’accorder sur des stratégies afin de mener à bien lesdits exigences, mesures et projets ;
-  Etablir une organisation internationale non-gouvernementale panafricaine dont le but sera de poursuivre les actions et stratégies définies plus haut.

Des délégations du monde entier sont conviées à la conférence dont le but avoué est l’action ; les thèmes abordés (programmes pour la jeunesse, SIDA, réparations, développement économique et commercial, questions d’identité sexuelle, etc…) auront été discutés par chaque délégation préalablement à la conférence, qui vise à confronter les points de vues pour arriver au plus vite à des plans d’action.
Et pour ceux qui douteraient qu’on privilégie l’action à Bridgetown, voici un aperçu de ce que nous prépare la fine fleur de l’activisme panafricain.
L’ACDA (African Cultural Development Association) de Guyana va présenter un plan visant à poursuivre en justice la République française pour le lourd tribut que la France força Haiti à payer pour le remboursement des richesses perdues en 1804, quand Haiti obtînt de longue lutte son indépendance. Le tribut que Haiti continua à payer jusqu’en 1946 s’élève à des millions de francs. Le projet fixe pour l’instant ce que la France doit à Haiti à 100 millions de francs. Bah, c’est même pas le prix d’un porte-avions nucléaire…

La conférence devrait permettre de mettre en place une équipe légale apte à mettre en place le projet.
La conférence, qui recevra de prestigieux invités (Winnie Mandela, Angela Davis), se clôturera le 6 octobre.

On dirait bien à Jesse Jackson de s’intéresser un peu moins aux premières pages des journaux pour des polémiques à deux francs et à se mettre à bosser là où ça se passe. On dirait bien ça mais connaissant le bonhomme, il y a des chances pour qu’il y soit, aux Barbades. On espère juste que son statut actuel de guignol ne détournera pas l’attention de ce qui va se passer là-bas.

Et puis on ne peut s’empêcher d’espérer que le projet de poursuite soit soutenu, et surtout présenté bien vite. Ce serait trop beau. Hossein nous pourrit la vue avec son Napoléon, on entend parler d’un porte-avions Napoléon… On célèbre sans vergogne l’ignoble boucher l’année du bicentenaire du rétablissement de l’esclavage et du massacre des populations guadeloupéennes par ses troupes. Oui, Jesse, parlons donc de respect. C’était ça, Bonaparte. On attend avec impatience la réaction du bon peuple de France quand il découvrira ce dont son gouvernement s’ est rendu responsable, l’affaire haitienne restant quasi inconnue sur le vieux continent. 100 millions de francs, ça fait cher le bicorne, quand même, non ?