Crise de l’édition BD

Enthousiasme et amertume face au 32

, par _Biokill

Deux séries de belle facture dépeignent l’europe sous des jours apocalyptiques, echos des incertitudes actuelles, « Guerres civiles » et « Après la guerre ».

Deux séries exemplaires d’un essai (pas transformé) d’un éditeur français, par ailleurs emblématique de la dérive libérale du genre, de dynamiter le format album à la franco-belge afin de faire face à la concurrence des formats et thématiques comics et manga.

Ou comment mêler enthousiasme face au travail de quelques auteurs et amertume face à un retour de refoulé des conditions de production. Une collection mort née et deux séries en suspension...

Je me rappelle quand je passais des mercredi après-midi assise devant les
rayons de la bibliothèque jeunesse. Je regardais le bout du couloir comme un territoire interdit. Un jour, j’ai eu enfin le droit d’explorer
les rayons de l’autre côté, dans la section adultes.

C’était une vraie aventure. Des
rayons entiers s’ouvraient à moi plein de mystère et j’imaginais des
choses interdites... Mais tout d’abord avant de tomber par hasard sur
« Pompes funèbres » de Jean Genet à 14 ans, la vérité c’est que j’ai
essentiellement jeté mon dévolu sur les revues en bas des escaliers et surtout
sur l’énorme rayon de bandes dessinées.

Avant de sombrer dans la perplexité face aux histoires
de pissotières je fut d’abord saisie par la section bd qui regorgeait de choses suffisamment
impressionnantes pour me perturber : des drôles de bds en noir et blanc ou avec pas beaucoup
de couleurs racontant des histoires de SF sinistres, ou l’histoire
d’un arabe qui joue de l’oud et se fait péter la gueule par des fachos.

Je découvrais donc les ouvrages de chez Futuropolis, entre deux albums
de Gaston Lagaffe et d’Alix.
The rest is history. Faillite, disparition puis retour de la revanche via Gallimard
et Soleil (cf encadré) au grand damn de son fondateur. Rééditions
de l’Oud, les ouvrages de Baru et
des autres trouvent d’autres chemins et d’autres vies et d’autres morts sous les hospices d’autres éditeurs et d’autres joint venture.

Les rêves du fou de Montellier

Derrière la renaissance de Futuropolis, du rugby et des gros sous.

Futuropolis aujourd’hui est bien loin [1] de la collection lancée par Etienne Robial
et Florence Cestac, bien qu’il surfe, comme cette chronique l’atteste, sur l’aura laissée par le travail de ces fondateurs, fou de bande dessinée d’auteur. Devenue label de Gallimard via les publications de livres de la collection blanche illustrées par des auteurs de bd, elle est "relancée" avec un bonheur alléatoire, par Mourad Boudjellal, le frère de Farid, l’auteur de bd
... publié par Futuropolis dès ses débuts. Mourad Boudjellal est l’actionnaire unique des éditions Soleil, troisième éditeur français en terme de ventes. Soleil édite des mangas, de l’héroîc fantasy surtout la fade série Lanfeust de Troy et le magazine du même nom, après avoir cartonné dans les années 80 en rachetant Rahan, Tarzan et Mandrake. Le rapprochement de Gallimard (Gallisol) et la relance de Futuropolis est une des tentatives de l’éditeur pour se positionner dans le secteur de la bd dite « indé ou d’auteur » qui a suivit le boom des Satrapi, Sfar et consorts. Mais le businessman ne s’arrête pas là, il est derrière, en association avec la chaîne de télé, du label TF1 BD qui édite des bios en bd de très bon goût (Obispo, sa vie, son oeuvre) [2], et est surtout connu pour le rachat du Rugby club toulonnais et le recrutement, en autres, l’ancien capitaine des all blacks, Tana Umaga, avec comme objectif de faire remonter le club dans le Top 14.
Plus gros employeur de la région toulonnaise [3], l’éditeur est le roi des associations qui tuent (Delsol avec Delcourt par ex.) et détient maintenant à peu près de 7,5% du marché de la BD en Francophonie.,

Mais Futuropolis me tend la main dans la boutique et je ne comprends qu’au fur et à mesure de la rédaction de cet article, les tenants et aboutissantes libéraux, de ces histoires de revenants.

C’est donc à cause des souvenirs de bibliothèque que je me suis prise à feuilleter puis
acheter les premiers ouvrages de deux séries à épisodes, de la collection 32.
J’avais plein de bonnes choses à en dire malgré tout, mais au site vite parue aussi vite disparue, la collection 32.

Si j’ai tout compris, le principe des 32 était de renouer en BD avec la tradition feuilletonesque
du 19e remise au goût du jour et en images.

Avec une édition est de qualité et est surtout par cher l’épisode (4,90 euros) de ...32 pages.

Les formats se cherchent dans la BD franco-belge depuis quelques temps, ça expérimente pour trouver sa place et
sa spécificité face aux formats comics, mangas ou indé qui il faut le dire malgré
la qualité de certaines bds mainstream ont bien foutu le dawa dans chez les papas
tradi-bds. Les ripostes à coup de rachats et de places dorés pour des auteurs plus habitués aux poches trouées n’ont pas manqué. Et des initiatives mortes nées comme la collection 32.

Malgré le prix, malgré la qualité de l’ensemble,
l’essai 32 n’est donc pas transformé. Les raisons semblent multiples, notamment sa commercialisation
qui a semble t-il été assez bordélique si j’en crois ce que disent les forums
spécialisés [4] . Emblématique de la crise de l’édition bd ?

Dans son N°38, CQFD, le journal de critique sociale bien aimé, décrit les problématiques de l’édition bd, via les déboires des requins marteaux. La Bd représente 40% de la vente de livres en France. Le nombre de parution de bds est passé de 400 à plus de 3000 par an. Les méthodes des gros distributeurs et éditeurs font dans le libéral sauvage, asphyxiant les libraires indépendants [5].

J’avais jeté mon dévolu sur deux séries, les autres thématiques me semblant plus classiques et ne correspondant pas à mes intérêts graphiques : « Après la guerre » de Brunschwig et Martin et
« Guerres civiles » de Ricar, Morvan et Gaultier.

Au delà des caractéristiques exposées ci dessus, ces deux bds abordent un fond très air du temps si on regarde l’état de tension larvée des sociétés françaises et européennes.

« Guerres civiles » (trois tomes à ce jour - parution de la suite
en 96 pages courant 2007 semble t-il) , raconte les errances
des auteurs de la bd dans une France en proie…à la guerre civile.
Le chaos et les chars mais à Reims et à Paris. Enthousiasment comme politique-fiction même si le côté grand public du projet évite la dureté - plus proches selon moi des potentialités de la veulerie humaine - que l’on peut trouver par exemple chez Bordage ou Dantec sur des sujets similaires. Mais l’honnêteté de l’ensemble , les auteurs-personnages ne sont pas des super-heros, et sont tétanisés par ce qui se passe - le pitch c’est quel genre d’humain serions-nous en temps de guerre ? - et sa simplicité emportent l’engouement du lecteur. Bon rythme, malgré dessin interessant, auto-politique-fiction : un bon cocktail à suivre donc.

Avec un dessin dense et original, Freddy Martin et Brunscwig font dans le thriller futuriste. Des vaisseaux extra terrestre attaquent une terre minée par les inégalités et le libéralisme, tenue par un système sécuritaire informatique généralisé. Ca démarre dans un squat en 2038 et on suit dans une série d’allers-retour l’après et l’avant guerre. Ils s’approchent... puis disparaissent... Deux tomes sont déjà parus et laissent présager un scénario touffu sous fond de société chaotique droguée et paranoïaque. Le dessin et les thèmes développés en font une série moins grand public, mais profilent une histoire, un découpage proche de certains comics américains.

La suite de ces beaux ouvrages - on pense du côté de la qualité d’impression à des choses comme la collection black is beautiful de chez Amok - en couleur et en moins classe of course mais bon c’est le même type d’effort, je trouve - devrait paraître, dans un autre format autre pris - en espérant que
pour lire la suite on ne nous prendra pas trop pour des vaches à lait forcées de se repayer
les épisodes déjà achetés...