L’esclavage devant les tribunaux

, par Alfred

Cette fois ça y est : la machine est lancée. Une plainte vient d’être déposée à New
York au nom des Africains-Americains. contre des entreprises accusées d’avoir fait
leur fortune sur la traite et l’esclavage avant 1863.

Trois entreprises américaines (la société d’assurances Aetna, société de chemins de fers CSX et le pourvoyeur de services financiers FleetBoston) sont citées dans une plainte déposée a New York au nom des Africains-Americains. Ces entreprises sont accusées d’avoir fait leur fortune sur la traite et l’esclavage avant 1863, et c’est à ce titre que Deadria Farmer-Paellmann, une avocate dévouée a la cause des réparations, les traîne en justice.

Malaise. Entre Aetna -qui ne peut qu’admettre avoir proposé des polices d’assurance "esclave" et évoque maladroitement la possibilité de dédommager les descendants d’esclaves- et CSX une compagnie créée il y a 20 ans mais dont les rails ont été posés par des esclaves, il semble que Farmer-Paellmann a décidé de taper fort et large. Il s’agit de désigner ceux qui ont utilisé l’esclavage directement (comme le fondateur de FleetBoston, dont la fortune a été bâtie sur la traite négrière) et indirectement. Ceci ne va pas sans poser de problèmes ; car si mêmes les accusés reconnaissent leurs torts, les réparations demandées leur semblent exagérées, voire inacceptables.
Parce qu’enfin, tout ceci s’étant passé il y a tellement longtemps, pourquoi les actionnaires et employés actuels devraient-ils payer les erreurs de leurs prédécesseurs ?

Bonne question. La réponse de Farmer-Paellmann : parce que si on ne peut le chiffrer exactement, le préjudice vécu par la population noire américaine du fait de l’esclavage est palpable, et le profit accumulé sur leurs épaules suantes ne les a pas aidés à se faire une place digne de leur labeur au soleil du pays de la liberté.

C’est grotesque. N’importe quoi. Ça se tient. Choisissez votre camp, les enfants. Jessie Jackson a déjà choisi le sien, comme de droit. Le débat jusqu’ici périphérique s’ouvre finalement la porte des grands médias. Sous une forme qui rappelle trop un cas récent pour que cela soit du au hasard. Qui a oublié les compagnies allemandes dédommageant les descendants des juifs utilisés comme esclaves (désolé de la comparaison, chers amis, je sais que ca ne plait pas trop)dans leurs usines pendant la seconde guerre mondiale ?

Voila. C’est aussi ça, l’idée, bien évidemment. L’inspiration, jusque dans les termes employés dans les manifestes et articles, évoque l’histoire du peuple juif. Les démarches judiciaires rappellent celles des survivants de l’Holocauste. Et forcent à poser la question très délicate, même à voix basse : bien evidemment, l’Holocauste n’est pas l’esclavage ; mais en quoi est-il different ? Et l’est-il tellement qu’on puisse prétendre à traiter les deux comme des phénomènes entièrement isolés ? C’est Plumelle-Uribe dans le très mal titré La Férocite Blanche, qui évoquait la possibilité que la traite avait posé un précédent dans les esprits quant à considérer un autre être humain comme un sous-homme.

Les organisations Africaines-Americaines de tout ordre sont sur les rangs. Après le procès, la marche des millions pourrait bien attirer des millions de gens, en effet. Dont l’idée principale est de faire comprendre à tout un tas d’autres gens ce que "imprescriptible" veut dire.

Qui a parlé de crimes contre l’humanité ? Personne, pour l’instant. Est-ce que la justice americaine va pouvoir éviter de statuer sur cette notion ? C’est ce que nous allons voir.

Article BBC News (anglais)

Article Liberation (va bientot disparaitre...)