De votre envoyé spécial aux Etats-Unis

La forme du vice : Sin City, de la page à l’écran

, par _Niban Balt

Ce weekend passé, j’ai été voir Sin City pour la deuxième fois. Je voulais le revoir histoire de trouver quelque chose de profond à en dire pour nos hypothétiques lecteurs, c’est pourquoi dimanche soir, on a sorti la caisse pour aller se planter au milieu du drive-in loca

Péché véniel

On recycle tout de plus en plus rapidement, par ici. Sorti en salles il y a un peu plus d’un mois, Sin City est déja au drive-in et probablement bientot en DVD, et pas encore sorti en France. Je ris.

Recyclage aussi parce que Sin City le film est l’adaptation de Sin City la BD, chef d’œuvre du génial Frank Miller, qu’on ne présente plus (Batman : Dark Knight Returns, Daredevil, Elektra, Ronin, ce en temps qu’artiste et scénariste, et tellement d’autres, n’en jetez plus : Frank Miller est responsable quasi à lui tout seul de l’entrée de la BD de superhéros dans l’âge adulte [1]).

Le cadre, pour les innocents qui ne connaîtraient pas l’original : il s’agit d’une série de petites histoires qui se déroulent dans la ville de Basin City, dont le doux surnom de Sin City (La ville du péché) peut être déroutant ; à Las Vegas, elle emprunte tout du vice et rien du néon et des couleurs. Sin City est caractérisée par les violents contrastes du noir et blanc de Frank Miller ; c’est la ville « noire » par excellence, noire comme les films, l’humour, la colère, comme le style saisissant de Miller, tout en contraste et presque exlusivement en noir et blanc. Basin City est pourrie par la violence, le stupre, la corruption ; le péché, en somme. Elle est sous les ordres du cardinal Roarke (Rutger Hauer, toujours un plaisir) et sa famille de tarés, qui contrôlent aussi, comme de bien entendu, la police locale. Voilà pour le Sin City des beaux quartiers ; la vieille Ville où les flics ne mettent pas les pieds, est tenue par les prostituées indépendantes. Organisées entre, elles ont passé un accord avec la police locale : elles font la loi chez elles, sans maquereaux, sans mafia, contre des ristournes de tous ordres pour la flicaille. Une belle petite ville, ma foi. C’est dans ce cadre que nous suivrons les aventures de trois héros principaux, Marvin (Mickey Rourke), le bon flic Hartigan (Bruce Willis), et Dwight (Clive Owen).

Sans rien ruiner du film, je vous conseille d’arriver à l’heure et de ne pas partir en avance ; le prégénerique et la scène finale sont les deux parenthèses entre lesquelles le film se développe, et meme si elles n’apportent pas plus de profondeur au film, elles lui fournissent un semblant d’unité.
Et c’est aussi, dit-on, cette premiere scène qui a décidé Frank Miller à laisser Robert Rodriguez adapter son oeuvre, et même à s’y coller lui-même.
Difficile de croire qu’un série aussi marquée par le cinéma ait autant de mal à y passer, mais Frank Miller tient bien serrées les rênes de son œuvre. Miller, qui s’est frotté à Hollywood en écrivant Robocop II (eeeeeh oui…), ne voulait pas voir son chef-d’œuvre massacré par un Joel Schumacher. D’où la proposition de Rodriguez, l’un des réalisateurs les plus indépendants de la cité des anges, que l’on aime ses films (la trilogie des Mariachi) ou pas (Une nuit en enfer). Pour les connaisseurs, et pour ne rien ruiner pour les innocents, il s’agit de la petite histoire The Customer is Always Right tiré du recueil d’histoires courtes The Babe wore Red and Other Stories. Miller vit la scène et décida qu’elle était bonne, suite à quoi il accepta de laisser Rodriguez adapter tout le toutime pour l’écran, sous sa bienveillante supervision.

Ce qui ne fut pas sans poser de problèmes. Miller étant devenu consultant sur le tournage et même plus, Rodriguez décida de le créditer comme coréalisateur. Manque de bol, la Guilde des Réalisateurs, une des puissantes corporations de l’industries du film américaine, interdit de créditer plus d’un réalisateur par film (Les réalisateurs n’appartenant pas à la guilde ne peuvent pas diriger de film réalisé dans les studios hollywoodiens). Qu’à cela ne tienne, Rodriguez préféra quitter la guilde que de nier l’influence de Miller. Un beau geste, certainement, pas qu’il en ait quoi que ce soit à foutre, ceci dit, la majorité de ses films ayant été tourné au grand soleil loin des studios californiens…

Enfin bon, voilà à quoi je pense alors que nous nous garons, pour admirer le générique. Musique de Rodriguez, images de Miller : le générique est le premier de nombreux clins d’œil à l’art du maître ; pour chaque acteur, et il y en a, nous est donné la version BD de leur personnage. Pour ce qui est de la ressemblance, le résultat est plus que frappant, mention spéciale pour Mickey Rourke, qui n’en finit pas de revenir à l’écran. Depuis son apparition dans The Pledge de Sean Penn, il s’impose comme l’acteur qu’il n’était pas vraiment dans les années 80. C’est triste à dire, mais il est tellement plus puissant sans sa belle gueule, qu’un rôle comme celui de Marvin ne pouvait que le bonifier. Pour ceux d’entre vous qui se demandaient comment on pourrait faire d’une tronche aussi caricaturale que celle de Marvin un personnage de chair et de sang, Mickey Rourke est la réponse.

Blood and guts

Et de la chair, et du sang, il y en a des tonnes. Si vous pensiez que la BD était violente, vous allez pleurer en voyant son adaptation. S’il est besoin de le rappeler, Sin City le film est de loin l’adaptation de BD la plus fidèle jamais réalisée. Rodriguez utilisait la bande dessinée comme story-board, et ceux d’entre vous qui l’ont lu, s’en rendront compte très rapidement. Le petit jeu est de compter le nombre de cases de la version originale que vous retrouverez exactes au détail près dans le film [2]. La pocharde affalée dans les poubelles où saute Marvin poursuivi par la police ? Elle est là aussi. Les grands fans (dont je suis), ceux qui avaient poussé des cris d’orfraies à l’apparition des premières affiches pour le film, habitués à critiquer toute adaptation ne pourront que fermer leurs gueules.

Le seul problème du film est qu’il révèle les limites du format original : très cinématographique en effet, mais les histoires de Sin City sont une collection de courts-métrages avec unité de lieu ; on retrouve aussi d’une histoire à l’autre certains personnages dans le fond, mais ce qui marche en BD n’est pas forcément très efficace à l’écran. Certes, Marvin fait son apparition dans d’autres épisodes de la série en BD, mais le semblant de chronologie dans le film rend ces cameos pour le moins bizarres (je fais de mon mieux pour ne rien révéler, ici….). Malgré quelques petits efforts pour lier le tout, Rodriguez et Miller ne peuvent cacher qu’il s’agit de quatre courts métrages en un. Pas gênant, mais un peu. C’est à peu près tout le mal que j’aurais à en dire.

Alors que dire de plus ? Les performances d’acteurs vont du moyen (Michael Madsen, qui tend à un peu trop sous-jouer) à l’excellent (Rourke, mais aussi Del Toro-qu’on aime ou on déteste, j’imagine). Le casting est éblouissant, tant par son cortège de stars que par sa justesse ; Elijah Wood traînera sans doute pour un bout de temps sa tronche de Frodon, mais il a également la tronche du fils Roarke, et croyez-moi, le sourire qu’on aurait bien effacé à coups de pelle marche ici dans un tout autre registre. L’humour noir (bien sûr) de la BD est conservé à l’identique comme tout le reste, et marche étonnamment bien, je trouve. Marvin est peut-être moins menaçant que dans la BD, probablement parce qu’il est déjà relativement comique dans un film de voir qu’il suffit d’être fou psychopathe pour sauter par une fenêtre sans trop s’écorcher, se faire démonter par une bagnole et se relever en époussetant son loden, etc., mais il gagne en comédie sombre. La blague récurrente sur le pardessus est aussi grinçante que dans la BD, mais autrement plus drôle.

Le travail sur écran bleu est impeccable. Là où Sky Captain and the World of Tomorrow aurait pu être la version filmée du rétrofuturisme ligne claire à la Blake et Mortimer, Sin City le film est un ovni en cela que ses références rebondissent à l’infini ; c’est bien sûr l’adaptation ultra-fidèle de la bane dessinée, mais la BD elle-même était déjà replète de références. Les poursuites en voiture rappelleront surement Kill Bill (l’hilarante scène de voiture entre Del Toro et Clive Owen a d’ailleurs été réalisée par l’ami Tarantino, sans que cela se voie, chapeau). Dans Kill Bill, il s’agissait bien sûr d’un clin d’œil au cinéma des années 50 et plus particulièrement la conduite sur fond d’écran. Dans Sin City, il s’agit de l’adaptation d’un clin d’œil similaire dans une bande dessinée, rendu au cinéma, si vous me suivez…

Toutes les voitures présentes dans le film (à l’exception notable de deux d’entre elles, on y reviendra) sont de ces paquebots sur roue des années 50, des belles américaines grand style. L’hommage au film noir de la BD est ici un hommage à l’hommage, si vous voulez, une mise en abyme des références culturelles. Le film permet de mettre en perspective le commentaire de Marvin, forcé à un moment donné d’abandonner la grande classe pour une de ces sales berlines allemandes, lâche un commentaire sur les voitures modernes ; « elles ressemblent toutes à des rasoirs électriques  ». Un bon film noir implique des bagnoles à faire baver ; dans la collection de caisses de Sin City, la Ferrari de fin de film passe presque complètement inaperçue. Raoir électrique contre rasoir à main, moins efficace pour raser mais tellement plus classe, et qui parle de raser ? Ce rasoir à main sous-entendu, on le retrouve dans la main de Clive Owen. Un cercle complet, en quelque sorte.

Alors j’entends dire que le film va être présenté à Cannes. Une perle pour les cochons : comme les films noirs dont il s’inspire, Sin City est fait par, et pour les cinoches de quartiers louche. Ça ne vous empêche pas d’aller le voir dans un multiplex, mais bon, vous voyez bien ce que je veux dire…

Notes

[1Un bon site pour les néophytes.

[2Et pour un apercu non exhaustif de cet exercice, regardez ce site.