Le crime était presque farpait

, par _RatRoc Nougat

Cannes et la critique cinématographique m’ont lessivé le cerveau à coups d’annonces sur "Last Days" et la très médiatique fin de vie de Kurt Cobain ou le dernier film français à la mode, "Lemming". M’en fous. Je suis tombée en arrêt devant un truc improbable : un film déjanté, où l’analyse des personnages le dispute à une intrigue policière des plus déjantées. Farpaitement vôtre.

Oh yeah… L’élégance chevillée au galbe de ses cheveux gominés, Rafael est un battant. Qui ne supporte pas la médiocrité de ses congénères, jaugée à l’aune de leurs frusques pathétiques. Pour ce bellâtre chef de rayon, un seul mot d’ordre doit guider les pas de tout un chacun : agir. Sans jamais penser. Chacun se doit d’avoir un but dans la vie : que ce soit piquer le journal au kiosque le matin ou embrasser la poupée pulpeuse qui traverse dans les clous, peu importe ! Et Rafael, de la race des seigneurs célibataires, a un but. Enorme, gigantesque, magnifique et surréaliste : devenir chef de tout le département de son grand magasin madrilène Yeyo’s. Un bout de paradis qu’il est à deux doigts d’obtenir, n’était la pugnacité de Don Antonio, chef du rayon « hommes ». La bataille est sans merci : à la fin de la journée, l’un ou l’autre remportera le poste si convoité. Leurs armes ? la vente. Leur cible ? les clients. Leur prouesse ? le chiffre de vente. A coups de cravate et de petites culottes. Quand il évolue dans son temple païen servi par une armée de vestales à la plastique extra-terrestre toute droit sortie des pubs pour lingerie féminine des abribus, Rafael domine le monde. Plus dure sera la chute.

Le dernier opus de l’auteur de « 800 balles », Alex de la Iglesia, est un bijou d’humour noir. Décapant, incisif et franchement drôle. Les trognes des personnages rappellent Delicatessen, on y sent la verve d’un Edoardo Mendoza, on y goûte des relents d’Almodovar mais pas que. Le film est émaillé de références à l’univers d’un Tex Avery et la peinture des petites bassesses humaines extrêmement bien calibrée.

Transformer la vie d’un grand magasin en théâtre d’une lutte à mort et critique de la lâcheté masculine comme Alex de la Iglesia le fait, est tout simplement jouissif. D’homme au-dessus de tout, prédateur ringard d’une gent féminine asservie qui fonctionne en mode binaire (sexe et shopping), Rafael se transforme en toutou exploité sexuellement par sa nouvelle partenaire : Lourdes. La vendeuse moche qu’il ignore depuis dix ans ! Manque de bol, elle a assisté au meurtre de Don Antonio. Manque de bol, elle nourrit une passion sans égal pour son chef de rayon. Manque de bol, elle sait exactement comment se lier à Rafael « pour le meilleur et pour le pire »… il ne reste plus au Don Juan d’opérette qu’à prendre des cours pour imaginer son « crime farpait ».

P.-S.

Le crime farpait (Crimen ferpecto), de Alex de la Iglesia, avec Guillermo Toledo, Monica Cervera, Luis Varela. Durée : 1h 44min. Sortie France, 11 mai 2005.