Le roi de la loose : entretien avec Ambre et Lionel Tran (2/2)

, par Alfred, LaPeg M. 

Suite de l’entretien avec les auteurs du "Journal d’un Loser"

Alfred : Confrontez-vous vos points de vues (avec vos potes ) ? A quel
point avez vous partagé certains épisodes qu’ils reconnaîtront ?
Que vous apporte cette confrontation si elle a lieu ?

Lionel Tran : La confrontation de point de vue a lieu dans le cadre des
rapports quotidiens. Ensuite la manière dont je le restitue ne regarde que moi, dans la mesure ou il n’y a rien de gênant pour la personne. Il y a très peu de choses impudiques dans le journal. On ne sait presque rien des personnages, qui sont comme des spectres.
Il y a leur visage, l’intonation de leur voix, ou plutôt la texture de leur parole, mais c’est tout. Hormis peut-être le personnage de Michel, le libraire, qui est le seul personnage dont on connaisse un peu plus l’histoire. La personne dont il est
question est un vieil ami, qui écrit également. J’avais tenu à en discuter avant la publication de l’album, il m’avait répondu qu’il avait l’habitude d’être mis en scène, que cela ne le dérangeait pas. Il m’a dit après l’avoir lu : " c’est étrange, pour moi il ne s’agit pas vraiment de moi, c’est un personnage. "

ALFRED : Certains passages semblent avoir été volontairement évités :"Tu ne vas pas raconter ÇA quand-même. (P. 24) " Raconté ou pas, au fait ? Si oui pourquoi, si non,pourquoi ? Pourquoi a-t-on envie de raconter sa vie sans prétendre que c’est une fiction ? Parce qu’au final, sur du papier ça en sera forcément ?

LIONEL TRAN : Nous avons raconté ÇA et même pire. Mais d’une manière tellement discrète que cela passe inaperçu. Le problème n’était pas, je crois, la gêne à raconter telle ou telle chose, mais plutôt la difficulté à raconter certaines choses d’une manière qui ne fasse pas tâche dans le récit. L’album repose essentiellement sur un sentiment, une tonalité assez ténue et monotone. Il fallait amener des variations à certains moments, des montées, des vertiges mais ceux ci ne devaient pas heurter la tonalité. Je crois que c’est surtout cela qui nous souciait. Les scènes qui auraient réellement détonné ont été rejetées avant d’être réalisées.

Comme je vous l’ai dit tout à l’heure, notre problème n’était pas de raconter notre vie mais plutôt de se servir de notre vie pour raconter une fiction. Nous avons utilisé nos traits ainsi que ceux de notre entourage, j’ai puis dans mes angoisses, nous avons construit le récit autour de problèmes qui nous souciaient pour construire une synthèse de sensations sur lesquelles nous avions
du recul. Enfin jusqu’aux trois quarts du livre. A un moment nous avons été happés par le récit et nous nous sommes retrouvés dedans. C’était très gênant. Nous n’avions pas du tout prévu cela.

L.P. : Est-ce que vous avez accepté d’emblée les passages sélectionnés par Ambre ? Avez vous eu des échanges difficiles à propos des orientations à donner au "Journal " ? Ambre, quels
critères avez-vous retenus pour votre sélection ? Qu’est-ce qui vous a amené à finalement vous éloigner du journal pour insérer d’autres choses ?

Cliquez sur l’image pour voir un extrait de "Journal d’un loser"(©L.Tran/Ambre/6 pieds sous terre éditions)

Lionel Tran : Oui, pour une simple raison : je lui avais confié le journal
afin qu’il voit ce qui l’intéressait dedans et lorsqu’il a fait sa sélection, je l’ai vu comme un tri de ce qu’il préférait et de ce
sur quoi il se sentait capable de travailler. C’était un canevas
sur lequel partir, autrement le "Journal " aurait pu partir dans
tellement d’autres directions... A partir de cette base et une
fois que nous avions défini nos intentions, nous n’en avons que
très peu rediscuté. On travaillait à tour de rôle. Il faisait une
scène, me la montrait, je la réécrivais, ou je passais à une scène
suivante. Il y avait des blocages, mais ils étaient personnels. On
sentait que quelque chose butait, des fois cela durait des mois,
puis une fois débloqué nous confions le travail effectué à
l’autre. En fait nous avons travaillé de manière très intuitive.

L.P. : Il y a eut des changements entre les planches parues dans Jade
et l’album. Je pense notamment à la scène de la fête de la
musique. Qu’est ce qui a motivé ces changements ?

A : Graphiquement, l’album a été réalisé en 2 ans et demi, il y
avait donc un décalage entre certaines planches. D’ailleurs si je m’écoutais, je referais tout.

L : Au fur et à mesure que le projet avançait nous nous sommes
rendus compte que certaines choses n’allaient pas. La première
scène (qui est parue dans Jade 7) nous a très vite semblé
inadéquate. D’ailleurs, elle était directement tirée de mon
journal intime, dont elle illustrait un paragraphe. Nous n’aurions
pas pu continuer comme ça pendant 120 pages. Ensuite, petit à
petit le ton s’est installé. Mais plus on avançait, plus on avait
envie de tout refaire. On voulait enlever le son trop tonitruant
de certains passages, les fausses notes, les ruptures de ton trop
brusques. Plus il avançait et plus le projet se dépouillait, les
scènes étaient de plus en plus muettes. Vers la fin nous avons
tout repris. J’ai ôté un bon tiers du texte, qui était encore un
peu descriptif, afin qu’il ne reste plus que des impressions très
ténues. Comme une petite musique jouée très bas, que l’on entends
au milieu de la nuit par la fenêtre ouverte, on n’est pas sur de
ce que l’on entend, ni même d’entendre quelque chose. C’est assez troublant et plaisant en même temps. Alors on tend l’oreille en essayant de saisir ce que l’on entend mais on n’entends plus rien.
On ferme les yeux et la musique revient. On s’endort comme ça et
on ne se souvient de rien le lendemain matin.

La genèse du projet (sur le site de Jade/6pieds sous terre)
Différents
projets du duo
(sur le site de Jade/6pieds sous terre)
Autre entretien (sur
le site de Jade/6pieds sous terre)
Le site de
Ambre
(sur le site de Ambre)
Le journal d’un
lose
r (sur le site de Ambre)