12/10/2002.Tony CONRAD + Sub Rosa (Saule, Kim Kascogne) - (Nuit des musées 1/2)

Nuit des musées : Tony CONRAD au Lux...

, par Toma Burvenich

La nouvelle se propage, soulève exclamations, incrédulité, colère parfois ; quand le frère met en doute la parole du frère, c’est qu’il se passe quelque chose de grand.

La cause de ces troubles immédiatement contemporains, la voici : on voudrait nous faire croire que le Saint Patron du drone [1], géant hillbilly coiffé de son indispensable chapeau, ombre projetée sur un drap blanc, bref Tony CONRAD, nous ferait l’honneur à nous, habitant du nord-est (le même nord-est décrit par Alfred dans son article sur COSTES), de venir dispenser sa maîtrise discrète et systématique d’un instrument ô combien délicat, le violon, à quelque 45 mn de Metz, dans un îlot qui, entre le dessèchement culturel lorrain et le dynamisme culturel belge, ses deux options frontalières (ayant déjà emprunté la lourdeur choucroutesque de la langue à l’Allemagne), a su faire le bon choix, je parle bien sûr du Luxembourg.

45 mn, si l’on sait où se trouve le musée du Grand Duc Jean, nouveau complexe d’art contemporain, entre béton urbain et vieilles pierres, frappé d’une lèpre intestine révélant pour le plus grand plaisir de ceux dont les cuisses ont gonflé de rage durant les première secondes de DJ Sub Rosa un dédale de galeries souterraines, dignes d’un ROLLIN (pas Henri, Jean, le cinéaste, poète naïf obsédé par le vampirisme, tâcheron pour Eurociné à ses mauvaises heures, et pornographe médiocre dans le pire des cas) au mieux de sa forme.

Tony CONRAD devrait apparaître trois fois ce soir : d’abord en duo avec DJ Sub Rosa (bien vite rebaptisé par des mauvaises langues DJ Prout Prout ou DJ (voire Didier) Subutex, allez savoir pourquoi), ensuite en solo, puis un trio avec les artistes invités ce soir, le tout entrecoupé de projections de films de Harry SMITH, malheureusement pas ses bandes Super 8mm peintes soigneusement à la main, travail de titan et plaisir pour les yeux, heureusement pas ses bêtises mystiques se hissant avec grand peine au niveau d’un sous Kenneth ANGER. Nous avons droit à des formes géométriques aux couleurs marquées (rose, rouge, vert…) clignotant, se mélangeant dans une danse hypnotique agréable. Ecrans trop petits néanmoins.

Après un périple de deux heures saturé de fausses informations pour finalement retourner au point de départ de nos pérégrinations luxembourgeoises et y découvrir, jurons à l’appui, le site convoité, nous cherchons une place la mort dans l’âme, un retard qui nous laisse peu d’espoir de voir le titan ailleurs qu’au bar.

Un messager bienveillant nous rassure à notre arrivée et nous accompagne dans une visite des lieux à l’architecture déroutante, une gigantesque construction en polystyrène dans une salle pyramidale, chaque angle ouvrant sur une pièce, un couloir, aux dimensions golemiques ; un labyrinthe en quatre salles et deux couloirs.

Dans une, deux films projetés en boucle sur un mur gris, dont un riche en couleurs, lent travelling dans un coin de nature ensoleillée, une butte pleine de recoins, d’escaliers, de fleurs mauves, de femmes lascives et d’hommes en moule burnes cuirs, jouant avec innocence à se poursuivre en riant, se prélassant ; un îlot de mystère visité en temps réel, on pourrait penser à Jonas MEKAS, mais pourquoi s’encombrer avec des références lorsqu’on peut partager ce confortable moment de détente sans prétention, construire une histoire avec les personnages récurrents de cette micro comédie de mœurs dirait l’additif du Républicain Lorrain.

Presque ému, je restais là à regarder et redécouvrir sans cesse ces même 10mn de bonheur chatoyant, quand le même messager bienveillant (nommé Pierre) vint me prévenir que le concert décisif allait commencer. Dans le duo, Tony CONRAD jouait de l’équerre pour fixer des étagères, traversée d’une corde un peu rude. Didier PROUT se bornait à mettre du Delay dans tout ça, parfois s’accordant un schhhhhhhhhhhhhhh puis un puihihihihihihihihihihihi, poussant au suicide collectif les gens venus de loin. Heureusement, le solo était d’une autre trempe, et refermait avec efficacité la prétentieuse parenthèse ouverte par les performances, bien adapté au public « new wave intello art pla’ branchouille » qui occupait les lieux, des deux autres invités. « gâchis » me dit Pierre, indigné et presque en colère.

Un draps blanc transparent et satiné, dressé en guise d’écran à 45 degrés de la scène, captait l’ombre gigantesque du violoniste à l’allure paysanne échappé d’un état du sud, marquant chaque coup d’archet d’un mouvement du corps, seule marque d’ailleurs, car notre bougre maîtrise l’instrument au point de pouvoir articuler sans cassure les coups d’archet. Mais son sens du rythme et son âme de country player l’invitent à jouer de la rupture avec délicatesse et brutalité.
Un accord 9e tonitruant, creusant dans une basse monocorde générée par un(e) « long string » (dispositif étrange se limitant à un socle en bois et une longue corde tendue, excitée par un E-bow), je n’arrête pas de me demander pourquoi la basse varie, génère une sorte de boucle quasi rythmique, quand soudain je comprends : le « long string », particulièrement sensible, subit le son amplifié du violon qui altère la régularité de sa vibration ; CONRAD, l’oreille experte, choisit la hauteur de ses sons en fonction de cette basse, jouant de la dissonance et du micro décalage avec une maestria inégalable. La précision chirurgicale du geste ne l’empêche en aucun cas de remplir la scène de ses amples mouvements de corps, et rapidement un courant de Rock’n Roll électrifie l’atmosphère, faisant regretter le manque de décibels du violon. Il s’explique par le fait que CONRAD joue sur la relation entre les sons, et comme le violon est collé à son oreille, pour capter le phénomène acoustique, car c’est bien de magie acoustique qu’il s’agit, la basse doit être très (trop) présente.

Une visite de la gigantesque salle pour trouver une position optimale d’écoute permet de découvrir l’architecture secrète d’un son apparemment continu et monocorde (ha ha), et c’est avec un plaisir intense que nous profitons de la mobilité qu’offre l’agencement de l’espace bétonneux. La qualité de cette performance nous incite à fuir dès les premières insupportables secondes du trio final.

Toujours la même chose et pourtant plus puissante et critique que jamais, la musique de Tony CONRAD dépasse les catégories du jugement et du commentaire et nous fait basculer dans un monde de sensation pure, directement vécu, toujours au présent…

toma burvenich

visiter le Tony CONRAD Project

Notes

[1qui n’est pas un avion télécommandé, mais simplement un son continu.