Hubert Selby est mort

, par _Biokill

Hubert Selby est mort hier dans sa maison de Los Angeles. Retour expéditif sur le bonhomme, son oeuvre et sur bien d’autres choses en guise d’hommage en ce début de morne matinée ensoleillée.

Ca me fait ça à chaque fois, une grosse boule dans la gorge, une tristesse et un voile gris sur le soleil de la journée...

Je ne les connaissais pas personnellement ces William S.Burroughs, ces Pierre Bourdieu, mais lorsqu’ils se sont éteints, je me suis sentie orpheline de quelque chose, d’une vision du monde, de ces pères intellectuels et littéraires qui ont jalonné ma vie et aidé, sous ma couette, à comprendre et ressentir la vie, à mettre en mot, comme on met en musique, le rythme du monde.

J’ai les boules car la mort d’Hubert Selby est comme une page qui se tourne sur une façon de rendre la brutalité des humains dans sa cruauté, avec rigueur et précision, loin de la complaisance fashion, sans la facilité crasse de tous ces jeunes écrivains qui inondent les tables des rentrées littéraires.

Je suis triste à en pleurer et à chaque fois je trouve ça complètement con, mais je ne peux pas m’en empêcher. Même quand Ginsberg a fermé les yeux, alors que c’était pas mon préféré je me suis sentie dépossédée de quelque chose. Je cite les beat pour la claque et les cercueils, mais Selby est hors chapelle.

Hubert Selby est né en 1928 à Brooklyn. Encore ado, il se retrouve mousse dans la marine marchande et en revient avec une tuberculose pulmonaire, cette même maladie qu’il a traîné toute sa vie et qui a fini par le terrasser hier. Mort en sursis à vie, il est condamné par les médecins et renvoyé chez lui après trois ans et demi d’hospitalisation, pour finir ses jours. C’est à ce moment qu’il commence à écrire son grand oeuvre : Last exit to Brooklyn. « Je voulais faire quelque chose de ma vie avant de mourir expliquait-il dans une interview au L.A Weekly. A chaque fois que les médecins annoncaient (ma mort)
ma réponse à leur diagnostics, c’était : allez-vous faire foutre, personne ne me dis ce que je dois faire »
. Alors, chaque soir après le boulot (il en a exercé toute une tripotée), il se met au travail et apprend à écrire. Ecrire son premier roman lui prendra sept années.

Sa vie toute entière consacrée au combat pour sa survie, contre la maladie mais aussi contre l’addiction, il n’écrira que sept romans, dont quatre tout à fait majeurs : la Geôle, Démon, Retour à Brooklyn (requiem for a dream), et donc Last Exit.... La dépendance aux médicaments pourrissant les périodes d’accalmie, sa vie chaotique reprendra un cours plus calme, avec l’abstinence à l’alcool, dès les années soixante-dix.

Au delà de son écriture à la scie musicale (Voir Rock and a hard place, last exit to Brooklyn, New York, Selby et le rock [1]), c’est aussi ses liens avec la scène hardcore, no wave [2] qui en font une véritable madeleine.

Quand j’entends le nom Selby , je ressors Henry Rollins, Black Flag,Lydia Lunch, Sonic Youth, Cop Shoot Cop, Excene Cervenka. Et je shoote, avec des guitares acérées, hardcore d’accord, la tranquillité de la société américaine, ma tranquillité, LA tranquillité. Leurs hurlements résonnent dans le silence, et je navigue à vue, ado dans cette univers culturel cohérent ou musique, littérature et politique s’interpellent et se nourrissent les uns des autres. C’est avec mes Selby sous le bras, les histoires de tralala, les Rise above et les « I’m sick to death of your fucking excuses » que je me suis construite ; ils font partie de moi aussi fort que les Nuits apaches [3].

En 1990 sort « Our Fathers Who Aren’t in Heaven » un album avec des lectures de Lydia Lunch, Hubert Selby, Jr. (Last Exit to Brooklyn), Henry Rollins et Don Bajema. En 1997, Selby enregistre pour 21361, le label de Rollins, l’intégralité de Last Exit.

En France, Selby a toujours été reconnu à sa juste valeur notemment grâce au travail de l’éditeur Bourgois, puis, pour ses derniers romans, L’olivier. En 1983, parait un ouvrage d’entretien de Selby avec le journaliste de libé Bayon, « Selby de Brooklyn ».

Aux Etats-Unis après le scandale [4] et le succès lié à la sortie de Last exit [5], Selby disparait régulièrement dans l’oubli. Ces périodes de déchéances financières sont bien évoquées dans le bouquin de Bayon. En le rééditant Rollins relance un peu sa carrière et ses finances.

L’histoire de leur rencontre est assez étrange : Lydia Lunch (ou Joe Cole - je sais plus) lui colle dans les mains Last Exit qu’il dévore. Il décide de retrouver cet auteur bouleversant d’aller lui dire qu’il l’aime, qu’il est trop fort. Plus moyen de mettre la main sur l’éditeur, aussi le alors encore jeune et fougueux Rollins prend son annuaire de Los Angeles et recherche Selby Hubert. Et le trouve. Il se rend alors chez lui, et tombe, comme Bayon aussi le décrit très bien, chez un type simple et modeste, qui vit, entre deux difficultés financières, tranquillement avec son fils. The rest is history comme on dit. Disques communs, rééditions, tournées de spoken words.

Last Exit To Brooklyn devient un film avec Jennifer Jason Leigh en 1989, puis Aronofsky adapte [6] magistralement Requiem for a dream en 2000 en travaillant étroitement avec Selby tout au long de l’adaptation.

The queen is dead

Il n’est d’ailleurs pas étonnant que ce soit l’auteur de Pi, qui soit l’adaptateur de Requiem... ce voyage dans la drogue, au fond des molécules de la dépendance, car lui aussi joue de son moyen d’expression comme d’un instrument de musique, interprétant une partition sombre, violente et tripale. Quand vous voyez les films d’Aronofsky, vous avez le vertige, si vous ne suivez pas le rythme, toujours lui, de ses montages. Une façon de mettre des mots en musique sur une pulsation infernale, c’est aussi ça qui vient de s’éteindre dans la ville des Anges.

Les libertés que prenait Selby avec l’orthographe, la grammaire et la typographie donnait à ses romans une réalité très particulière. On voit les mots hurler lorsque les couples se déchirent en grandes disputes. Sa langue était de la même veine au garrot que les personnages qu’il décrit, à part, dans les égouts, en dessous, avec des règles autonomes.

Travestis, junkies, batards américains noirs et blancs, syndicalistes...portraits de ratés flamboyants, tous les personnages et les scènes décrites dans les livres de Selby trouvent leurs échos dans cette musique de caniveaux et d’entrepots désaffectés, de Sister Ray (Velvet) à The divorce (Cop shoot Cop) [7]. Relisez The queen is dead et vous entendrez.

Que dire de plus en ce petit matin, dans un article qui se voudrait une brève :)...et autour duquel je tourne depuis une heure...Hubert Selby est mort. Vive Hubert Selby.

Bibliographie :

LAST EXIT TO BROOKLYN (1964)

LA GEÔLE (1971)

LE DEMON (1976)

REQUIEM FOR A DREAM - Retour à Brooklyn [8](1978)

CHANSONS DE LA NEIGE SILENCIEUSE (1986)

LE SAULE (1998)

WAITING PERIOD (2002)

A lire :
http://aubry.free.fr/RAGE.HTM
http://aubry.free.fr/Selbyfilm.htm
http://www.liberation.com/livres/25...
http://www.humanite.presse.fr/journ...

A écouter :

The pool room

P.-S.

Journée ultra glauque pour la musique no-wave de New York de la fin des années 70 car LIzzy Mercier Descloux est décedée il y a quelques jours et a été incinérée ce matin.

Notes

[1Un article de G.Pierrot sur la musicalité dans l’écriture d’Hubert Selby. On peut le qualifier d’écrivain free-jazz/no wave comme il y eut des écrivains Jazz comme Kerouac. Copyright volume ! n°2

[3Je sais c’est nul dans le cv, de découvrir Chomsky dans un 45t de Bad religion , mais c’est comme ça...If ever i could stop speaking about music and politics - Disposable heroes

[4Procès en obscenité et soutien international de l’auteur par des écrivains comme Burgess (L’orange mécanique)

[5Le livre se vendra à plus de 2 millions d’exemplaires en 1964. Les sorties des livres suivants sont tous des échecs commerciaux aux Etats-Unis.

[6Il s’agit d’une belle adaptation, une relecture...Quand il s’agit de mise à l’écran de roman il ne devrait jamais ne s’agir d’autre chose d’ailleurs

[7Voir Copyright Volume, N°2, Année 2002.

[8Le titre français est un peu con car il sous entends que Requiem est une suite à Last Exit, alors que les deux romans sont distincts...