Centcinquantenaire de rien (3/3)

, par LaPeg M. 

Suite et fin de notre roman feuilleton : l’esclavage c’est jamais fini...

La représentation des noirs dans la publicité a été très bien et longuement étudiée par Pascal Blanchard et Nicolas Bancel, des spécialistes de l’imagerie coloniale, qui font un travail de déconstruction terrible avec l’association l’Achac donc si ça vous interesse allez consulter leurs ouvrages, parce que tant qu’à faire ce sera plus éloquent que mon résumé expéditif.

Il parait dingue de voir,dans les discours officiels, dans les médias, présenter les antilles et leurs ressortisssants expatriés comme une communauté homogène et stable alors même que les ressentiments sont de plus en plus exacerbés. Le discours sur les antilles fait généralement preuve d’un consensus mou : est-ce dû aux intérêts stratégiques que ces départements représentent ? A la dépendance économique ? A la l’idéologie assimilatrice ?

Les clivages sociaux qui pourrissent la vie antillaise et par extension la vie des antillais de métropole(antiers ,négropolitains réunis pour une fois) sont pourtant bien vivaces et c’est pourquoi la célébration sporadique du cent cinquantième anniversaire de l’abolition de l’esclavage est problématique.

Ces clivages sociaux , qui sont en fait des matérialisations de constructions héritées du biologisme légitimant la notion de race , sont directement issues de la société esclavagiste. Par exemple,si il existe des tensions entre Martiniquais et Guadeloupéens, d’où croyez vous que ça vienne ? Et la hierarchie de la noirceur, qui nous a laissé un vocabulaire varié pour décrire la couleur de peau des antillais, d’où ça vient ces catégories à la con (chabin, mulâtre, quarteron, métis...) ? Après, une fois qu’un préjugé est installé, c’est fini, on trouve toujours des exemples bidons pour étayer les conneries. Avec la gradation (ou la dégradation) des différentes teintes de peau (du blanc blanc au noir noir, du boudin blanc 100% pur cochon au boudin noir 100% pur chocolat ) ce qui est bien c’est que les effets sociaux sont toujours visibles. Un ou une métisse est tellement mieux qu’un noir noir, enfin disons qu’il passe mieux. C’est un noir acceptable, parce que pas trop noir. Les mulâtres posèrent problèmes à la société esclavagiste parce que justement il n’étaient plus vraiment noirs, et donc assimilables aux blancs. Comme il étaient moins noirs(ou plus blancs selon le point de vue) ils devinrent supérieurs au noirs noirs, et cette "supériorité" réthorique prit effet dans la société des antilles françaises en faisant des mulâtres(etc..) une catégorie intermédiaire , entre les maîtres et les esclaves.

Edouard Glissant disait que les antillais ne se rendaient compte de leur antillanité qu’en venant en France, et c’est vrai,puisque l’antillais (et autres domiens tomiens) est le seul genre de citoyen français qui ne l’est et ne le sera toujours qu’à mi-temps en métropole. Parce que bon, soit on est français soit on ne l’est pas. Alors pourquoi toujours s’acharner à demander aux antillais de quelle nationalité ils sont ? Pourquoi ne rendre visible que certaines catégories assez stéréotypées de noirs dans ce pays ?

Parce que regardons un peu autour de nous : les noirs ça va quand ils sont mâles, sportifs (et qu’ils gagnent), rappeurs (c’est bien, ça marche en France, à l’étranger et puis ça fatigue pas trop, ces mecs se comportent juste comme on veut qu’ils soient(sauf exceptions) : ils renvoient juste l’image qu’on attend d’eux, une sexualité animale, le démon de la danse...) mannequin ou porno stars( ces négresses quelles chiennes)... Je parle de visibilité là, pas de confidentialité, hein, que des écrivains comme ceux que j’ai cité soient prix Goncourt , reconnu dans dans les sphères intellectuelles, c’est bien gentil, mais pourquoi leurs bouquins ont droit à un rayon spécial caraïbes dans les librairies, c’est des écrivains français ou niet ? La virtuosité de leur travail est -elle juste "pas mal pour un nègre" ou simplement une belle écriture ?
La couleur de la peau est une inscription corporelle qui a une efficacité sociale qui ne semble pas près de s’effacer(parce que bon, noir, t’en sort pas).

On aime d’autant plus les noirs que leurs productions touchent le corps : la musique, le sport, la danse...et on aimerait autant qu’ils restent cantonés là. Ils ne sont finalement bon qu’à ça, puisqu’on ne les connait que pour ça, puisque qu’on ne montre que ça. Ca arrange bien tout lemonde : les noirs ne seront jamais des cérébraux mais des physiques quelles que soient leurs autres contributions . L’opposition esprit/blanc corps/noir est tellement parfaite, pourquoi se faire chier à la questionner.

La complexité des rapports humains , des identités de dépossédés et de leurs (re)-constructions, tous ces effets secondaires (enfin, centcinquantenaires) de la Traite africaine sont tels qu’il est difficile d’en faire le tour. Les notions d’antillanité ne suffisent pas à boucher tous les trous, d’autant plus que les antillais de métropolen à 100% se font plus nombreux. Dans quelle mesure les antillais(toutes catégories lourdes,légères) peuvent se reconnaître dans la culture de france alors même que la france ne reserve à leur histoire commune que quelques lignes faculatives dans les programmes d’histoire à l’école, et des commémorations sporadiques, discrètes et qui évitent d’aborder l’essentiel, alors même que l’évènement mériterait autant de battage que la bicentenaire de la révolution française.

Sans pour autant qu’il soit question d’une hierarchie de l’horreur, il faudrait réfléchir sérieusement de manière dépassionnée,(c’est à dire comme ça n’a jamais été malheureusement le cas jusqu’à présent parce que les gens qui ont essayé confondent un peu tout (genre déclarations pourries à la public enemy)), réfléchir donc, à ce qu’il y a de terriblement commun entre la Shoah et la Traite, en tant que les deux tragédies découlent d’une même posture mentale (voir Hannah Arendt), une même négation de l’être.Par dessus tout il faut cesser de remiser le commerce triangulaire dans les cales d’un navire négrier, et en parler.

Le travail de mémoire et de commémoration est un devoir, d’autant plus que le passé est lourd. Ce travail ne saurait se limiter à une reconstruction historique mais exige un examen d’ordre anthropologique (carrément). Souvent le travail historique qui est le plus souvent mené s’avère trop selectif, marqué par telle ou telle idéologie,assimilatrice ou revancharde.

On ne selectionne trop facilement dans le passé que ce qui sert le présent : des "voyez comme la France a su avec la départementalisation amorcer une autre forme de décolonisation" aux "mes ancêtres c’étaient des nègres marrons", on ne garde finallement que ce qui est aujour’hui valorisable.

Ainsi, à en croire certains, ils seraient tous issus de nègres marrons, de rebelles, puisque ce passé là est endossable, même si la moitié de leurs ancêtres étaient des engagés(des paysans blancs de métropole venus s’échiner sous les tropiques) ou des planteurs.

Seulement, la mémoire sélective permet de mieux vivre le présent : il est difficile d’admettre qu’on est le fruit d’une dépossession totale d’humanité, de destinée, de maternité, de sexualité, comme il est difficile à la France de regarder en face ses erreurs.

L’héritage de l’esclavage ets si lourd qu’il semble parfois que la quête de mémoire est impossible d’autant plus que, les fantasmes qui furent liés à sa justification perdurent de manière plus( attitude de certains touristes, des policiers...) ou moins (dans les médias )flagrante.(FIN)