Apres l’Iraq, Bush veut sauver le mariage

, par Alfred

Dans le cadre de sa campagne pour les prochaines élections, George Bush s’est dit qu’il pouvait taper sur les homos et gagner des voix à peu de frais ; c’est ce qu’on va voir...

I will remember Massachussetts...

Tout a commencé avec la décision de la Cour Suprême de l’état du Massachussetts, et sa décision du 3 février 2004 : par 4 voix contre 3, elle reconnaît l’absence de base rationnelle justifiant le déni du mariage civil aux couples homosexuels (voir texte de loi en anglais). La Constitution du Massachussetts « affirme la dignité et l’égalité de tous les individus » et « interdit la création de citoyens de seconde zone ». C’est donc en toute logique que la Cour Suprême du Massachussetts, dans le droit des états américains, a décidé de légaliser le mariage homosexuel . Un coup de tonnerre, imaginez un peu. Quelques jours plus tard, Gavin Newsom, le jeune et fraîchement élu maire démocrate de San Francisco décide, contre les lois de son état, d’autoriser les mariages homosexuels. Des centaines de couples se présentent aux portes de l’hôtel de ville de la capitale gay américaine. Deux semaines plus tard, on en est à plus de 3200 mariages. Le gubernator Schwarzenegger a rappelé à l’ordre le maire de Frisco, lui laissant entendre que tout ceci se réglerait devant les tribunaux si ça continuait quoi merde, il y a des lois. Les grognements de la droite chrétienne se faisant de plus en plus sonores, George W. Bush dans une conférence de presse mardi a annoncé qu’il envisageait un amendement à la Constitution des Etats-Unis visant à définir le mariage comme l’union d’un homme et d’une femme.

L’ami Bush expliquait donc posément au peuple américain qu’il allait changer la Consitution des Etats-Unis de manière à ce que le texte de base du système américain contienne un article visant expressément à nier les droits d’une minorité. Ce qui est strictement interdit par la Constitution des Etats-Unis. Hm.

Anticonstitutionnellement

Ah, la Constitution, les constitutions, mais combien en ont-ils exactement, ces ricains ? Une fédérale, et cinquante étatiques. Si la Consitution fédérale couvre tous les états, ceux-ci sont dotés de constitutions locales, etles droits de la famille sont généralement considérés du ressort des états. C’est ce qui explique les fortunes diverses ayant suivi des décisions de cours de justice dans l’Alaska, le Vermont et Hawaii, qui reconnaissaient déjà l’anticonstitutionnalité du déni de mariage aux couples homos. Si le Vermont s’est doté d’une union civile garantissant des droits similaires à ceux des couples mariés (mais pas identiques, genre PACS), le constat d’anticonstitutionnalité a cependant été bien gentiment étouffé à Hawaii et en Alaska, les politiques locaux s’empressant de voter des amendements constitutionnels définissant le mariage comme une union entre un homme et une femme. Un amendement similaire a ainsi été voté par les Californiens en 2000, avant que les problèmes commencent, pfffiou, on l’a échappée belle.

Manque de bol, apparemment, ça n’a pas arrêté Newsom. Et pour cause, l’ami estime que l’amendement est de fait anticonstitutionnel, puisqu’il contredit l’article garantissant un traitement égal à tout citoyen.
Problème ; le procureur général de Californie a promis de saisir la cour suprême californienne au sujet des licences illégales délivrées par la ville de San Francisco. Ça tombe bien, continue le flamboyant Newsom, on est fin prêts.

La bataille constitutionnelle ne fait que commencer. 38 états de l’Union ont des lois interdisant spécifiquement les mariages homosexuels. Mais dans ces derniers jours, on a localisé des mariages gays dans l’état de Washington ! Où s’arrêteront-ils, s’exclame la droite religieuse, en mettant des coups de coude à son fidèle George W. Bush. Le fils à papa a trouvé la solution : mardi, il annonçait dans une conférence de presse son projet d’ajouter un amendement à la Constitution des Etats-Unis d’Amérique, la grande, la fédérale, un amendment qui définirait le mariage comme un truc strictement entre un homme et une femme, quoi. « Si l’on veut éviter que la signification du mariage soit changée à jamais, notre nation doit voter un amendement constitutionnel pour protéger le mariage en Amérique . » Qu’il est bon de voir que la mère Boutin a des amis partout dans le monde. On sait jamais, des fois qu’en voyant tous ces homos se marier, ça pourrisse l’institution pour le reste du monde, Bush le croisé a repris du poil de la bête : les pédés ne passeront pas. Et il s’est pas foulé ; le coup de l’amendement, si ça marche dans les états, y a pas de raison que ça marche pas au niveau fédéral.

Ici, on déconne pas avec le sacré

Eh ben c’est pas si simple que ça, et ce coup-là il ne suffira pas de fausser les élections. Un nouvel amendement doit être voté à la majorité des deux tiers au Congrès, puis ratifié par 38 des états de l’Union pour être valide. On comprend mieux pourquoi seuls 27 des milliers d’amendements proposés depuis 1791 (ratification de la Constitution) ont été ratifiés : c’est ainsi que l’amendement assurant des droits identiques aux hommes et aux femmes, voté par le Congrès en 1978, atteindra péniblement sa 36ème signature ce mois-ci. Plus que deux, ouf.

Alors ça veut dire quoi, tout ce bordel ? Concrètement, les mariages du Massachussetts, où les licences de mariage pourront être délivrées à partir du mois de mai, ne seront valables que dans ce seul état. Les autres états de l’Union ne sont pas forcés de les reconnaître. Plus inquiétant pour Bush et ses potes est l’affaire californienne ; le maire Newsom a décidé de poursuivre l’état de Californie, l’article sur le mariage étant d’après lui anticonsitutionnel. Et même s’il va sans dire que ça prendra du temps, il a de bonnes chances de gagner. Le spectre terrible du mariage gay est en train de recouvrir l’Amérique, tous aux abris, St George sauvez-nous des sodomites et des brouteuses de gazon, c’est la chute de l’Empire ! La bombe atomique proposée par l’ami Bush me semble peu propice à le faire remonter dans les sondages. Après l’annonce du président, Newsom a eu ces mots pleins de sagesse : « Franchement, ne faites pas mumuse avec la Constitution. » C’est qu’en croyant faire plaisir à ses potes à peu de frais, en lançant une proposition d’amendement à l’orée des élections présidentielles pour faire du pied à ceux que ça défrise, Bush risque de se mettre à dos bien plus que les gauchistes et les pédés.

Je me base personnellement sur les commentaires que j’entends de ci de là dans mes périples dans les bars du trou du cul de l’Amérique où j’habite, plutot que sur les sondages. Dans une contrée à majorité républicaine, on commence à en entendre de belles sur le président. Beaucoup avaient grincé des dents après que Bush ait proposé de légaliser la situation de milliers d’immigrés clandestins, un étrange appel du pied à l’électorat hispanique, reconnu comme tel par les républicains des classes ouvrières et moyennes, et ca les a pas trop fait marrer. Si d’aucuns pensent qu’il s’agit là d’un effet de manche essentiellement destiné aux présidentielles et qui ne sera vraisemblablement pas suivi d’une action véritable, ça n’a pas plu à tout le monde.
En essayant d’en mettre un coup à droite, Bush risque de s’aliéner ceux qui n’ont plus ou moins rien à foutre que les homos se marient, mais que cela irrite profondément de voir Mr Bush décider de changer la Constitution pour des raisons aussi clairement biaisées.

Live and let live

Un sondage souvent évoqué ces derniers jours affirmait que si 60% des Américains sont opposés au mariage homosexuel, moins de 50% sont favorables à un changement de la Constitution. Les sondages valant ce qu’ils valent, je me permettrai de citer une connaissance personnelle : « L’Iraq, OK, moi je pense qu’il avait de bonnes raisons. Mais là, pour qui il se prend ? C’est quoi la prochaine, il va ouvrir des camps ? » La personne en question était républicaine jusqu’à hier.
Il va sans dire que le mouvement lui assure le soutien de la droite religieuse. Il ne faut cependant pas sous-estimer le sentiment constitutionnel américain. Le droit des états est un des chevaux de bataille des conservateurs, et je doute que tous apprécient le geste de Bush. Le vrai texte sacré de l’appareil politique américain n’est pris à la légère par personne, et nombreux sont ceux qui voient d’un mauvais œil un amendement destiné à promouvoir la discrimination. Le dernier en date avait été voté en 1861, poussé par les états du Sud, et il visait à garantir le droit des états à recourir à l’esclavage si bon lui semble… il n’a jamais été ratifié.

Comme on parle, les files d’attente s’allongent devant l’hôtel de ville de San Francisco, et Bush s’enfonce petit à petit dans sa médiocrité. Ça aura pris quatre ans, mais il semblerait que le gouvernement Bush commence à s’empêtrer dans sa pile de linge sale. Halliburton, la compagnie autrefois dirigée par le vice-président Cheney, est accusée de s’en mettre plein les poches en surchargeant les frais de cantine des G.I.s stationnés en Iraq. Bush est à la télé presque tous les jours à balbutier des explications sur les « erreurs de renseignement » concernant les armes de destruction massives irakiennes, son service dans la Garde Nationale, les bretzels, l’apocalypse climatique, les accusations de falsifications de résultats d’enquêtes scientifiques sur l’environnement…

Alors qu’il paraît inévitable qu’il se retrouve face à John Kerry pour les prochaines élections, Bush cherche désespérément un sujet de campagne apte à sublimer toutes ces bourdes. Sujet explosif s’il en est, le mariage homosexuel risque de lui péter en pleine gueule.
Et ce serait tellement bien si la communauté GBLT nous débarrassait de Dick et Bush. Ha ha.