L’O.N.U , os à ronger des Damnés de la Terre

, par Soopa Seb

Les nominations récentes par les États-Unis de John Bolton comme représentant de leur gouvernement à l’ONU et Paul Wolfowitz à la tête de la Banque Mondiale ont suscité beaucoup d’agitation et fait couler pas mal d’encre dans les médias : concernant Bolton, RFI titre sur son site Un faucon ambassadeur à l’ONU ; c’est “Bolton, faucon américain à l’ONU” pour l’édition en ligne de Libé du 09/03/05 et pas mieux pour Wolfowitz, puisque, toujours selon Libé, sa nomination jette La Banque mondiale dans la gueule du loup (article du 24/03). J’ai juste relevé rapidement ces exemples, parce que je pense qu’ils reflètent assez bien la propension des médias à monter une info en épingle.

Dis, tu veux jouer aux chaises musicales ?

bolton
Car, si on regarde de plus près les types qu’ils remplacent, c’est blanc bonnet et bonnet blanc : Bolton remplace [1] Anne W. Patterson, intérimaire après le passage de John C.Danforth [2], qui lui a dû combler le vide après ... John Negroponte, le gars de l’Iran-Contragate et responsable du terrorisme au Nicaragua dans les années 80 (j’y reviendrai...), qui venait d’être nommé en Irak au même poste -ambassadeur- qu’au Honduras des grands jours (voir le site du RISAL). Ce matador dont l’anti-communisme primaire s’est forgé durant la dévastation à grande échelle du Viet-Nâm, vient d’être couronné Tsar des services de Renseignements US : ça promet pour les libertés civiles de nos voisins outre-atlantiques. Wolfowitz, quant à lui vient en remplacement de James Wolfensohn, dont l’action à la tête de la Banque Mondiale n’aura jamais dévié d’une politique néfaste et ultralibérale d’ajustements structurels et d’éléphants blancs (ces projets pharaoniques qui ne bénéficient jamais aux populations locales) [3] et pour cela quitte son poste de second du commandement du... Pentagone, grand défenseur du « développement » et de la paix dans le monde, cela va de soi. Wolfensohn, lui, ira servir de caution au retrait israélien de la bande de Gaza [4].

Cette petite constatation permet de relativiser les différents propos alarmistes qui ont vu le jour au lendemain de l’annonce de ces nominations, comme cela arrive régulièrement dès que prend place un événement, certes peu agréable, mais consensuel et facilement exploitable par tout le monde : Bouh, le vilain pas beau, il est très méchant ! (voir l’intervention américaine en Irak et les multiples récriminations sur le fait que le droit international a été bafoué : je me marre un bon coup, et j’y reviens dans quelques lignes...). Cela évite d’avoir a trop réfléchir sur ce qui se passait avant, sur le pourquoi du comment, comme on dit dans la France d’en bas du monde, sur le rôle de notre Brave Patrie dans le respect du droit international, et finalement, si cela va changer beaucoup de choses dans le monde.

Un bref rappel sur le Lion’s Club des Nations Unies

Le pouvoir des Nations-unies est concentré dans les mains du Conseil de Sécurité, ce petit Club très fermé de privilégiés, vainqueurs de la Seconde Guerre (ou assimilés comme tels, suivez mon regard...), qui fonctionne de manière fort peu démocratique puisque toutes les décisions importantes (notamment les interventions militaires) sont soumises au droit de veto de nos 5 comparses (États-Unis d’Amérique, Russie, Chine, Grande-Bretagne et France). Donc, si une décision ne leur plaît pas : paf , je sors mon veto de mon chapeau et on oublie ça les gars. Plus fort que Majax.
Tout le reste, bla-bla et décisions qui font joli, mais qui ne font pas de mal à une mouche, c’est pour la pomme de l’Assemblée Générale : là , c’est bon, on peut laisser jouer “la démocratie” vu que ce n’est pas trop important (enfin, si important , mais sans conséquences pour les intéressés). Et par démocratie, on peut rester perplexe quand on sait que :
- uno, à la date de la création des Nations-Unies, 3 des membres du club était des puissances colonisatrices, une pratiquait l’apartheid sur son territoire et la dernière n’était pas vraiment un camp de vacances.
- Secundo, des dictatures comme celle de feu Eyadéma, le pote de Chirac, et tant d’autres, ont un siège dans le grand concert des Nations [5].
- Tertio : la légitimité de nos représentants à l’ONU est plus que douteuse : ce sont en effet des fonctionnaires nommés par le gouvernement en place, loin donc d’un suffrage quelconque [6].
- Quatro : comme le rappelle fort à propos Eduardo Galeano, le club des 5 est composé des plus gros exportateurs d’armes au monde, et qu’en conclusion, « la paix mondiale est entre les mains des cinq puissances qui profitent le plus du commerce de la guerre ». [7]

Mais bon, passons...
Je ne vais pas m’étendre sur les cas évidents de violation du droit international, de l’Irak à la Palestine, à la zone de non-droit de Guantanamo. Pour servir de cas d’école, je me contenterai de rappeler le contentieux Nicaragua/États-Unis d’Amérique en 1985, exemple souvent cité par Noam Chomsky [8], mais qui vaut son pesant de bananes United Fruit.

Vénézuela, Nicaragua, même combat pour les USA

Donc, pendant que nos chers dirigeants y vont de leur couplet sur le respect du droit international et des institutions, tous oublient que le leader du « Monde Libre » et de l’ « Axe du Bien » est le premier État Voyou au regard de ce même droit depuis fort longtemps, bien avant l’invasion programmée en Irak ; et le Grand Défenseur du Droit International (GDDI), notre président Jacques Chirac s’est bien garder de le rappeler, mais là c’est normal, hein, la paille et la poutre, ou plutôt la poutre et le pylône... Revenons-en aux faits : en 1985, le gouvernement progressiste sandiniste est au pouvoir depuis 1979, après avoir renversé le régime dictatorial de Somoza, « our kind of guy » ("notre genre de gars", comme disait Reagan à propos d’un collègue, Suharto en Indonésie) [9]. Les États-Unis ne l’entendent pas de cette oreille et décident une opération militaire basée au Honduras [10], s’appuyant sur des anciens de la Garde Nationale de Somoza, les contras. Et là, ils n’y vont pas de main morte : je ne fais que lire l’arrêt de la Cour Internationale de Justice (CIJ), que je vous invite à consulter en ligne ou au format pdf tant il est explicite. Minage des ports nicaraguayens, pressions sur des pays tiers pour stopper les échanges commerciaux avec le Nicaragua, attaque concertée avec la CIA d’installations pétrolières, de bases navales, j’en passe et des meilleures.... A partir de la page 136 de cet arrêt, nous arrivons aux conclusions de la Cour, qui , après avoir à plusieurs reprises condamné les États-Unis d’avoir violé les différents traités qui interdisent l’usage de la force contre un autre état et leur demandant d’y mettre un terme, en arrive aux demandes de réparations, que je cite, juste pour le plaisir :

« Décide que les États-Unis d’Amérique sont tenus envers la République du Nicaragua de l’obligation de réparer tout préjudice causé à celle-ci par la violation des obligations imposées par le droit international coutumier qui sont exposées ci-dessus. »

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Negroponte faisant usage de son droit de veto.

Les sandinistes attendent encore... et on comprend un peu mieux le manque de considération états-unien pour le droit international, vu la vigueur des sanctions mises en œuvre contre eux. Et puisque c’est la même fine équipe du temps de Reagan qui entoure G.W. Bush, Hugo Chavez peut sérieusement considérer le coup d’état du 11 avril 2002 comme le début de ses ennuis... [11]

La France, pays des Droits de l’Homme et des Colonies

Si les États-Unis d’Amérique ont un pylône dans l’oeil notre gouvernement essaie de lui faire sérieusement concurrence. La France est une habituée des résolutions de l’Assemblée Générale des Nations-Unies et ce, depuis un moment !
Prenons le cas de Mayotte : en 1975, notre beau pays traficote le référendum pour l’indépendance de l’archipel en imposant un décompte par île, au mépris de l’intégrité territoriale des Comores, après avoir pris soin de débarrasser l’île des partisans trop farouches de l’indépendance en les expédiant vers les autres îles. Résultat : Mayotte voudrait rester française ! Depuis cette date, la France est condamnée régulièrement par l’ONU, avec les résultats que l’on connaît, puisque l’Opération « Maison qui Brûle » va être lancée incessamment sous peu par George W. Bush, pour la liberté du peuple comorien [12]...
Vous pouvez avoir un aperçu de bon nombre de ces décisions sur le site de l’ONU -en anglais-. Cela n’empêche pas nos gendarmes d’exiger des papiers au comoriens qui veulent se déplacer au sein de leur propre pays....et de les refouler le cas échéant. 20 ans de condamnations.

Passons à un autre territoire exotique où le droit semble fondre comme neige au soleil : la Nouvelle-Calédonie.
Il est surprenant de constater que ce dossier est suivi à l’ONU par la quatrième commission de l’Assemblée Générale, connue sous le nom de “Commission des Questions Politiques Spéciales et de la Décolonisation” et plus précisement par le Comité spécial chargé d’étudier la situation
en ce qui concerne l’application de la Déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux
... Quoi, comment ? Décolonisation ? Peuples coloniaux ? Eh oui. Kanaky [13] est toujours considérée comme un pays sous domination coloniale, et la France appelée “Puissance Administrante”. L’ONU suit et encourage le processus qui doit mener à l’auto-détermination de l’archipel. Pour preuve de sa détermination inébranlable, elle inscrit la Nouvelle-Calédonie sur sa liste des Territoires Non Autonomes. Et, comme pour Mayotte, un chapelet de résolutions est voté depuis des années, avec l’efficacité que l’on sait.

Os à ronger ou feuille de vigne ?

Autant les décisions de l’ONU sont reléguées aux oubliettes, autant les règles du commerce international sont appliquées avec zèle et sont bien plus contraignantes que toutes les décisions de la CIJ [14]. Et, somme toute, les nominations de Wolfowitz et Bolton répondent à une certaine vision cohérente du monde, proche de celle filmée par Hubert Sauper dans son sombre documentaire, “Le Cauchemar de Darwin”. On peut y voir l’aide alimentaire internationale être distribuée par l’ONU et les ONG pour éviter une famine en Tanzanie, pendant que des avions cargos chargés ras la gueule d’épais filets de perche du Nil s’envolent pour gaver 2 millions de consommateurs européens [15] et reviennent en Afrique avec des pleins containers d’armes et de munitions qui alimentent la guerre qui dure depuis 1998 en République Démocratique du Congo, conflit le plus meurtrier depuis la fin de la Seconde Guerre Mondiale ( 5 millions de morts à l’heure actuelle) , et où est aussi affectée une mission de l’ONU, la MONUC.

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La Banque Mondiale ? A l’aise.

Parfait exemple de complémentarité des rôles des institutions internationales et de la cohérence des nominations en question : en une petite mécanique bien huilée, le Pentagone et autres exportateurs de mort fournissent les armes pendant que la Banque Mondiale et le Fonds Monétaire International imposent l’exportation des maigres ressources des pays, les laissant chaque jour un peu plus exsangues et au bord du gouffre, pour plonger finalement dans un chaos où l’ONU pourra venir jouer les figurants. Car c’est à cela que sert l’ONU, à faire mine d’atténuer les dégâts causés par les absurdités d’un monde totalement dérégulé où règne le dogme néo-libéral, simple cache-sexe qui suffit à notre conscience. Il ne résoud pas les problèmes, il est juste dépêché pour faire bonne figure, pour donner l’illusion que la communauté internationale agit.
Et pour les naïfs qui espèrent encore que la Cour Pénale Internationale va faire évoluer les choses, il est remarquable que les États-Unis refusent d’y adhérer et que parmi ceux qui l’ont ratifié, un pays comme la France ait fait ajouter une clause excluant de toute poursuite pour crime de guerre pendant 7 ans les militaires français engagés dans des opérations. Pour la simple raison, que ces pays savent pertinemment qu’ils vont violer le droit international.
Et que pour eux, l’ONU est, a été et restera toujours un os à ronger pour les Damnés de la Terre.

Notes

[1à l’heure ou j’écris ces lignes, Bolton n’a pas encore été confirmé dans ses fonctions en raison de l’opposition des Démocrates, voir la dépêche de l’AP.

[2Lequel a bien suivi la ligne historique de veto de toute résolution visant Israël, voir le communiqué de presse suivant, en anglais.

[3Lire à ce propos, la confession d’un repenti : La Grande Désillusion, Joseph Stiglitz, Fayard 2002, 20€

[4Arte Info édition de la nuit du 14/04

[5On peut aussi se demander quelle latitude ont les valets des pays occidentaux dans leur vote. C’était une des raisons de la mise en place du réseau Foccart par De Gaulle afin de maintenir un poids international à la France plus important que son seul siège.

[6Le débat sur le problème de la représentativité dans une démocratie parlementaire n’est pas le sujet de cet article.

[7Eduardo Galeano , Sens Dessus Dessous, L’Ecole du Monde à l’Envers , Homnisphères coll.Imaginaires Politiques, 20€

[8A ce sujet lire l’excellent recueil d’articles De la Guerre comme Politique Etrangère des Etats-Unis, Noam Chomsky, Agone coll. Contrefeux, 15,20€. Préface de Jean Bricmont en lyberagone

[9lire les différents articles de Chomsky, en anglais, sur le site de Z Magazine .Son analyse de la différence de traitement dans les médias entre le génocide perpétré par les Khmers rouges au Cambodge -communistes, donc Axe du Mal de l’époque- et celui mis en œuvre à la même période en Indonésie, dictature amie et donc avec la complicité des États-Unis, est exemplaire. A lire, vu qu’en ces jours de commémoration de la prise de pouvoir khmer en 1975, nous allons y avoir droit une nouvelle fois...

[10où officiait comme Ambassadeur et donc relais du gouvernement états-unien, John Negroponte, cité plus haut

[11Lire le dossier Vénézuela sur le site du Monde Diplo

[12Lire le Dossier Noir n°19, Comores-Mayotte, une histoire néo-coloniale, par Pierre Caminade, Agone, 10,45€, Associations Survie France et Agir Ici

[13le nom de la Nouvelle-Calédonie pour les indépendantistes kanaks.

[14Cour Internationale de Justice

[15Le titre du film s’explique par le fait que ce poisson, grand prédateur, a été introduit par l’homme dans le plus grand lac tropical du monde, et en a décimé toute la faune d’origine, provoquant la prolifération des algues et l’asphyxie des eaux, ce qui en fait une des catastrophes écologiques majeures, avec l’asséchement de la Mer d’Aral et celui du lac Tchad.