Après la finale

Nous sommes tous des fils de pute terroristes

, par Alfred

L’Italie est championne du monde, mais dans les petits villages gaulois on ne parle que d’une chose : qu’a-t-on dit à Zidane ? La France bouillonne à l’idée d’insultes racistes. On n’excuse pas Zidane, mais on le comprend. Voilà qui est pour le moins intéressant...

Coup de boule

Je m’étais promis de ne rien ajouter, quel que soit le résultat final, parce que la simple presence de l’équipe de France en finale de la Coupe du Monde me semblait suffire à expliquer mon point de vue. C’était compter sans une des finales les plus déroutantes de l’histoire, non pas pour son dénouement, mais bien pour l’évènement qui aura pris précédence sur tout le reste : le coup de boule de Zidane au torse du défenseur italien Materazzi.
A-t-on parlé, peut-on parler d’autre chose ? Dans un match particulièrement violent, il s’avérait rapidement qu’il s’agissait là de quelque chose d’autre : les ralentis montraient bien vite qu’un échange avait précédé le coup, et pas besoin d’être journaliste pour se render compte que Materazzi avait finalement trouvé ce qui fait tiquer Zidane. Zidane, on le sait, n’est pas à l’abri de coups de sang. Il l’aura montré à différentes reprises dans sa carrière, s’essuyant les crampons par ci [1], et distribuant les coups de boule par là [2]. Zidane se fait sabrer à longueur de match, ce qui n’excuse rien, mais ces éclats s’étaient généralement vus précédés d’agressions caractérisées. Au contraire de nombre de ses collègues, Zidane a tendance à ne pas plonger. Nombre d’infractions mineures à son encontre passent donc inaperçues, ce qui n’est probablement pas fait pour détendre ses nerfs, mais passons.

Le grand débat de cet après coupe du Monde tourne autour des mots de Materazzi. Le défenseur de l’Inter Milan traîne une réputation de gros bourrin, gagnée à grands coups de crampons dans les tibias, les genoux, les parties et éventuellement les épaules, si l’occasion se présente. Ce n’est pas la première fois qu’il se fait étaler non plus : dans un incident datant de l’année dernière, il s’était vu administrer un coup de boule par l’attaquant du Milan AC Shevchenko après 4 minutes de jeu, dans un match comptant pour la Ligue des Champions. Il ne semble cependant pas avoir réservé de traitement particulier à Zidane tout au long du match, sinon peut-être en parole. Quiconque a déjà regardé un match de football à la télévision et essayé de lire les lèvres des joueurs sait bien qu’il y a au moins une bonne raison pour laquelle on ne met pas de micro plus près des joueurs : ils passent les matchs à beugler des insanités, à l’arbitre, à leurs adversaires, quand ils ne leur sussurent pas des insultes. Les petites infractions de ce style sont classiques en football professionnel. L’idée est bien évidemment de déconcerter l’adversaire, si possible au point de lui faire commettre une infraction. L’insulte envers un autre joueur n’est jamais punie, tout comme la plupart des fautes commises derrière le dos des arbitres. Ca fait partie du sport : les joueurs poussent l’enveloppe, et c’est le rôle de l’arbitre de la maintenir scellée. Les insultes sont tolérées parce qu’elles volent bas, ne sont que des mots, et tant qu’elles ne critiquent pas l’autorité de l’arbitre, elles sont relativement bénignes. Qui plus est, elles sont en général proférées en la présence de dizaines de milliers de spectateurs qui passent le plus clair de leur temps à insulter tout ce qui bouge sur le terrain.

Comprendre sans excuser

Ce qui nous mène au centre de l’affaire Zidane : comme le spéculent nombre de journaux en attendant une meilleure explication, l’insulte aurait visé ou la mère de Zidane (actuellement très malade), ou sa sœur, ou ses origines, ou tout ça ensemble. Materazzi aurait lâché une bordée d’injures racistes, déclarant en substance que Zidane est un fils de pute terroriste. C’est ce qu’on nous dit. Ca ou Materazzi l’a traité lui de sale musulman terroriste. Ou sa soeur. Ou autre chose. Bon. J’ai un peu de mal à comprendre comment on se retrouve avec tellement d’interprétations alternatives, alors qu’elles ont supposément toutes été obtenues en lisant les lèvres de Materazzi. En même temps, je ne parle pas italien, alors je ferme ma gueule. Materazzi lui-même, dans une interview récente, disait avoir répondu à l’incroyable arrogance de Zidane [3] en proférant le type d’insultes entendues des milliers de fois sur un terrain, mais il assure ne pas avoir employé le terme de terroriste, allant jusqu’à prétendre ne pas savoir ce que ce mot veut dire. Il n’en dit pas plus. Zidane a annoncé qu’il s’expliquerait dans une conférence de presse à venir, et le monde est pendu à ses lèvres.

C’est qu’on se l’est bien posée, cette question, depuis dimanche : pourquoi ? Pourquoi un coupe de boule à 10 minutes de la fin ? Tu as dû connaître bien pire, dans ta longue carrière, alors pourquoi là, en finale de la Coupe du Monde, pendant ton dernier match, le match du sacre, le match qui allait assurer ta légende ? Le vent a soufflé chaud et froid. Il y a eu des cris, « il est devenu fou ! », des têtes secouées de désolation.

Puis quand les rumeurs ont commencé, la France s’est calmée. Ah ben là, forcément, s’il attaque sa mère et le traite de terroriste, y a moyen de fulminer. Toute la France le comprend, d’un coup, le fils chéri. Le racisme, c’est impardonnable, et voilà SOS Racisme qui demande une enquête et éventuellement des poursuites. Croisons les doigts et espérons qu’il s’agisse bien de racisme, si possible, histoire de ne pas tous passer pour des gros cons chauvins... Quel beau paradoxe.

C’est drôle tout ce bordel, parce que ça ne fait réfléchir personne, alors même que tout est là pour une troisième mi-temps sur les problèmes ethniques et sociaux en France. Ca va être un peu tiré par les cheveux, mais dites-moi ce que vous en pensez : je trouve ça plus qu’ironique que la même France qui conchiait les bougnoules islamistes émeutiers d’Octobre fasse bloc derrière le coupe de boule de Zidane sous prétexte que c’est une réponse inexcusable, certes, mais ô combien humaine à une insulte raciste. Arrêtez-vous une minute pour goûter cette idée. Je parle d’une France qui ne trouvait aucune explication possible au soulèvement des banlieues, qui commençait même à s’énerver, ça commence à bien faire, ils viennent manger notre pain ici, on leur donne un doigt et ils demandent le bras et en plus ils foutent le feu ?!? Cette même France « comprend » l’acte de Zinédine Zidane. Cette France, comme elle ovationne Zizou au Crillon, demande qu’on juge Materazzi et qu’on le condamne pour ignominie raciste parce que la Coupe du Monde, c’est un truc d’amis et tout.

Nous sommes tous des fils de pute terroristes

Bon. Passons sur l’hypocrisie de la chose. Peut-être même sont-ils sincères. Tout cela importe peu. Personne, nous dit-on, n’admire le geste, hein. Comme disait Domenech, on comprend, même si on n’excuse pas, comme en écho à la gauche frileuse qui murmurait comprendre le problème des banlieues, mais en aucun cas soutenir leurs inexcusables actions. C’est que voyez-vous, Zidane est un exemple pour les jeunes ; on le voit partout à la télé, il a ce sourire timide et aimable du gendre idéal, c’est un génie du football généralement reconnu pour son honnêteté sur le terrain. On aime à parler de fair play, d’esprit sportif, et pour le coup Zidane a carrément déconné. Mettre des coups de boule, et c’est pas la première fois, « Quel exemple pour les jeunes ! » Ben voyons. Les jeunes qui jouent au foot en compétition savent bien que le fair play y est une bonne et rare surprise.

Je plains ceux qui considèrent des joueurs de foot comme des exemples pour la jeunesse. La vie d’un joueur de foot est tout ce que je ne souhaite pas à un enfant : à partir du collège on met les études derrière et c’est foot toute la journée, à 16 ans on bosse pour une équipe qui fera de vous un pro ou pas, et enfin on passe 15 ans de sa vie à se faire démonter toutes les semaines à coups de crampons face à des milliers de spectateurs qui eux, peuvent insulter ta mère, ta sœur, ta couleur de peau, etc. pendant 1h30 et en toute impunité. Par ailleurs, si insulte raciste il y a eu, force est de constater que le coup de boule de Zidane aura éclairé le débat bien plus que les sorties de Eto’o et d’autres joueurs noirs confrontés aux insultes racistes du public. Aussitôt oubliées, ces actions n’auront pour la plupart même pas été suivies de sanctions contre les clubs incriminés. Mais je m’égare.

Une petite interprétation personnelle pour finir : on aura entendu certains affirmer « C’est la racaille qui ressort ! », par fierté ou par dégoût. Zidane, l’enfant de la Castellane, aurait le sang chaud comme ses voisins. Voici ce que je propose : Zidane n’est pas tant une inspiration pour les jeunes, que les jeunes une inspiration pour lui. Ce coup de boule, par une sorte de justice poétique non-préméditée, est véritablement un rappel et une déclaration de soutien rétroactif aux émeutes de l’automne passé. C’est le recours ultime de ceux qui en ont marre de se faire marcher dessus, tirer le maillot, insulter en toute impunité. Quand l’eau déborde le vase, coup de boule. C’est pas ce qu’il y a de plus éthique, ce n’est pas un bon exemple pour les enfants, mais c’est facile à comprendre, et tellement humain, et puis si c’est à cause d’une insulte raciste, alors là, forcément. Non ?

La prochaine fois qu’on verra un troupeau de Materazzis en uniforme bleu, trique au poing, sourire goguenard à la bouche, expliquer doctement que les petits Zidanes de banlieue l’ont bien cherché, on y réfléchira peut-être à deux fois.
Ou pas. Mais ce ne sera pas faute d’en avoir parlé.

Notes

[1En 1998 pendant la coupe du monde, dans le match contre l’Arabie Saoudite.

[2Quand il jouait encore pour la Juventus de Turin, en 2001, lors d’un match de Ligue des Champions.

[3Et quelle arrogance ; à Materazzi pendu à son maillot, Zidane aurait dit en substance : Eh, si tu veux mon maillot, je te le donnerai à la fin du match. Voir ici.