Un morceau de Yorkshire dans un cube blanc

, par Nico Melanine

Le white cube,salle d’expo londonienne, accueille quelques tableaux de Harland Miller, un jeune artiste et écrivain anglais.

Perdue au fond d’une ruelle, en plein cœur de Londres, la salle qui accueille les œuvres d’Harland Miller se révèle contre toute attente plutôt agréable, et sympathique - dans la mesure où une salle peut effectivement se révéler plutôt agréable, et sympathique. La salle en question, c’est le white cube, lieu d’exposition dédié à l’art contemporain.

Londres a le privilège d’en abriter deux, des white cubes. Le plus grand, situé à Hoxton Square, au Nord-Est de Londres, est assez antipathique – dans la mesure, bien sûr, où un cube blanc peut effectivement être assez antipathique. De par sa taille, il laisse pleinement s’exprimer le concept creux – qui consiste en un effacement, et un dépouillement ultimes de la salle d’exposition au profit de l’œuvre exposée – qui est à l’origine du white cube. Le résultat, malgré un dépouillement effectif total, a quelque chose de très pompeux. L’absence d’artifice, ainsi conceptualisée, ne reste ni plus ni moins qu’un artifice. Et au final, avec la froideur clinique de son blanc omniprésent, le white cube peut bien être assimilé à ces cimetières modernes, dont chaque tableau ne représente qu’une autre de ces tombes, alignées, toutes côte à côte, que dénonçait il y a bientôt cent ans Marinetti dans le manifeste futuriste, qui constitue un des premiers réquisitoires contre les musées, et l’art bourgeois en général.

Ce qui sauve l’autre white cube, c’est sa petite taille. S’il ne présente évidemment aucune différence de nature avec son grand frère, sa petitesse lui dénie de fait le caractère pompeux qui est intrinsèquement lié au concept de white cube.

Du coup, c’est malgré tout d’un bon œil qu’on approche les quatre tableaux qui y sont exposés, et qu’on part à la découverte de leur auteur, Harland Miller.

Harland Miller est né dans le Yorkshire, en 1964. Il a étudié la peinture en Angleterre, puis est parti travailler comme artiste à l’étranger, avant de revenir dans son royaume natal. Si son conté d’origine peut être considéré comme un bon point pour lui, certaines de ses fréquentations le sont moins. Miller compte en effet parmi ses amis un dénommé Jarvis Cocker, oui, lui-même, héraut de la britpop la plus mauvaise qui soit, avec son groupe disco-pop-dandy-kitsch Pulp. Miller aurait d’ailleurs fait partie, dans sa jeunesse, d’un groupe punk appelé les Jackson 2. Je ne me risquerais pas à écouter, si tant est qu’ils aient jamais enregistré quelque chose.

Ce qui intéresse Miller maintenant, c’est moins la musique que la peinture, bien sûr, mais aussi la littérature, les mots, l’écrit. Et l’exposition qu’il présente, combinant intelligemment peinture, littérature, ainsi qu’un intérêt pour son Yorkshire natal, le montre bien.

C’est dans les années cinquante que Miller tire, pour la présente exposition, son inspiration. Il réunit dans ses tableaux deux moments culturels qui ont coïncidés dans le temps : l’expressionnisme abstrait d’une part, et l’avènement des Paperbacks (Penguin books) d’autre part. Les Paperbacks étant cette collection apparue en 1935, qui avec les prix résolument bas qu’elle pratiquait, a dans un sens participé à une certaine démocratisation de l’écrit en Angleterre.

Ses tableaux prennent ainsi la forme d’hypothétiques et géantes couvertures de paperbacks, incluant en guise de logo, au bas de chacun d’entre eux, non pas le légendaire et habituel pingouin, mais un pélican dans une tentative maladroite d’envol. Tous constitués de trois bandes chromatiques aux contours vagues, aux tons fades, délavés mais en même temps chaleureux, ils forment une série qui évoque inévitablement le style et la manière de Mark Rothko.

Mais avant toute chose, ses tableaux représentent une promenade à travers le Yorkshire. Promenade jalonnée de noms de villes de la région, qui apparaissent tous en haut des tableaux, en lieu et place du titre de chacun des paperbacks qu’ils reproduisent à grande échelle. Et à chaque nom de ville est associé un slogan fictif, qui parodie les devises de certaines villes, telles que celle de Glasgow, qui réunit avec un certain mauvais goût, ridicule et jovialité : Glasgow Smiles Better.
On a ainsi droit à des slogans qui insistent plutôt sur le coté un peu paumé et sur la pauvreté du Yorkshire – pays industriel, anciennement minier, du nord de l’Angleterre – tels que ceux-ci :

Leeds – nowhere, nothing, fuck up

Whitby – the self catering years

La parodie, en ce qu’elle est inversion ironique, est bien là. Mais le Yorkshire, quoique région dénuée, pauvre et quelque peu paumée, et peut-être aussi précisément pour ces raisons, n’en reste pas moins une région magnifique, qui en vaut largement une autre. Miller, qui en est originaire, en est conscient, et le revendique, comme l’atteste ce dernier commentaire sur cet autre slogan fictif qui apparaît sur un de ses tableaux :

Bridlington – 93, 000, 000 miles from the sun

... "so is the Costa Del Sol"

Avec comme fil conducteur le comté du Yorkshire, cette exposition mêle donc écrit et peinture, comme semble avoir décidé de le faire Harland Miller dans sa vie. Il est en effet non seulement peintre, mais aussi écrivain. Son premier roman, Slow Down Arthur, Stick to Thirty, a été récemment publié. Centré sur l’avènement d’un adolescent -type Bowie- dans les années 70, il a pour thème de fond la musique, et semble se rapprocher, dans ce domaine particulier, de ce qu’a pu écrire quelqu’un comme Hanif Kureishi. Il écrit actuellement son deuxième roman, Reclaim the Night, basé sur l’histoire d’un groupe de prostituées transsexuelles vivant à Leeds à l’époque du Yorkshire Ripper. Intéressant, non ?. Vous avez aimé From Hell … ?
Bref.
Harland Miller.
Un jeune homme aux talents multiples.
A découvrir.
Que vous aimiez le Yorkshire ou non.