Dans la glace, l’oubli

, par _Biokill

Que se passe t-il quand on vit 600 ans, qu’on apprivoise des planètes hostiles, sous la houlette d’une dictature commerciale qui tait son nom, mais qu’on ne se souvient même pas de son enfance...

La vie sur la Terre, sur Mars et ailleurs a bien changé depuis que l’espérance de vie moyenne est de six cent ans. Mais les centenaires ont un problème : il leur est difficile de se souvenir. Des réminiscences des événements passés peuvent leur venir, mais globalement il leur est impossible de se rappeler même leur enfance, de ce qu’ils ont ou non vécu, aussi marquant, historique ou traumatisant que soit les jalons de leur vie.

Les Etats-Unis et l’Urss se sont alliées afin de coloniser l’espace. Le « Comité », un groupement para étatique d’entreprises minières a les mains libres pour diriger la planète Rouge, et de part et d’autres, sur Terre et sur Mars leurs décisions totalitaires ne sont pas du goût de tout le monde.

2248. Emma Weil spécialiste en terraformation et autres équipements permettant la survie dans l’espace (création et maintien d’écosystèmes, évacuation des déchets, fabriication d’oxygène etc...) consigne dans son carnet de bord tous les événements qui balisent ses journées à bord de l’Aigle-Roux, le vaisseau minier sur lequel elle travaille. Déjà, depuis quelques temps elle a l’impression qu’une partie de l’équipage fomente quelque chose à l’écart duquel elle est soigneusement maintenue.

Bientôt, sur l’Aigle Roux c’est la mutinerie.

2547. Que reste-t-il des conséquences de la mutinerie de l’Aigle Roux ? Personne ne se souvient des villes de cette époque, le discours historique officiel est passé à la moulinette du « Comité », aux tâtonnements de l’archéologie et aux spéculations les plus folles. Des découvertes ébranlent toutes les connaissances régulièrement admises. Sur Mars, sur Pluton. Et déjà, la construction de l’histoire se heurte aux révisions les plus loufoques, aux discours officiels, aux intuitions géniales de ceux qui s’essayent à faire parler les preuves. 2610. Comment prouver ce dont plus personne ne se souvient ?

On retrouve dans ce roman de Kim Stanley Robinson la même obsession pour la terraformation que dans sa trilogie martienne bien connue [1] qui paraîtra une dizaine d’année après la première publication ddes Menhirs de glace : comment rendre habitables des nouvelles planètes, créer et maintenir des biotopes viables... Mais ce sont les questions de la manipulation historique, de la cohérence des preuves, des reconstructions archéologiques, de la neutralité scientifique qui constituent l’ossature de ce roman sympathique quoiqu’ un peu décevant.

Comme tout bon roman de politique fiction « Les menhirs de glace » est une mise en abîme de questions actuelles. Révisionnisme, manipulation des preuves, questions de mémoire collective voir de construction de mythologies de types « nationales » (ici planétaires) : la façon dont l’oubli, la reconstruction et les spéculations délirantes et leur instrumentalisation s’équilibrent n’a rien à envier aux différents discours qu’on peut lire à droite et à gauche sur le 11 septembre.

Cependant, il manque un petit quelque chose à cette fresque pour que le récit tienne sur la longueur les promesses de sa première partie et aille jusqu’au bout de son propos de façon totalement convainquante.

P.-S.

Kim Stanley Robinson, les Menhirs de glace - Folio SF, 2003 - Traduction Denoël 1986.

Notes

[1Mars, la rouge, la verte, la bleue