Après le survol de quelques critiques au vitriol et d’autres favorables mais suspectes [1], le coup d’œil à la bande annonce nous a d’abord poussé vers l’usuelle réaction devant les sorties ciné — « attendons qu’il soit dispo en stream ou en téléchargement ».
Dans le même temps, les quelques interviews glanées en ligne de la jeune équipe d’actrices évoquant la pénurie supposée d’acteurs noirs (d’actrices en l’occurrence) en France pour justifier le mode de casting nous avait passablement gonflées et figé notre méfiance. Il manque d’acteurs noirs en France, la bonne blague. [2]
Il manque surtout d’acteurs noirs de milieux populaires qui veulent bien répondre aux assignations qu’on leur donne, mais ça, c’est une autre histoire. Peut-être d’actrices de quatorze ans, mais ça, c’est aussi une autre histoire, celle de la sociologie des enfants artistes et de leurs familles, mais bon, on s’égare [3].
Mais c’est la réaction de la brigade-collectif anti-négrophobie qui nous a incité à ouvrir le porte-monnaie et pousser la porte d’un cinéma.
Nous ne partageons pas leur point de vue sur Case Départ, mais nous les remercions de leurs réactions à chaud, qui comme souvent ont la vertu de braquer le projecteur sur des situations qui méritent l’attention.
Alors, au final Bande de filles c’est quoi :
c’est un film trop long, deux heures, qui aurait gagné en narration en ne ratissant pas aussi large ;
c’est un film qui aborde (à nouveau pour Sciamma) la question du genre - mais en enfonçant des portes ouvertes sur les filles à gros pulls et leur vie dans les espaces masculins populaires. Ce qui est décrit ici est-il si spécifique aux jeunes filles noires de banlieue qu’il nécessite un tirage de ficelles (du pull) aussi appuyé (nattes plaquées vs talons hauts) ? Non, surtout que la piste d’une bisexualité potentielle du personnage principal s’évanouit aussi vite qu’elle est apparue, dommage. Du coup, on se retrouve à nouveau dans le cliché de la maman, la butch ou la putain — ce qui nous ferait presque oublier que Sciamma a été capable de finesse et de nuances dans ses autres films. Les garçons ne sont pas beaucoup plus finement campés. On a furtivement l’espoir que le petit ami soit là pour montrer la complexité des allers-retours que chacun effectue à partir du rôle social qui lui est assigné. Faut-il rappeler à la cinéaste que même les hommes noirs de banlieue ont accès, dans le réel, à une palette de réactions aussi larges que le monde est vaste ? Que tous les hommes noirs ne sont pas forcément des défenseurs de l’ordre patriarcal ? (Attention, spoliare) Mais pourquoi leur relation sur écran doit-être se finir sur une proposition en mariage qui a comme corrélaire unique d’inviter Marieme à embrasser la vie de femme ouvrière et de mère avec une double journée de travail, ce qu’elle essaye de fuir tout au long du film ?
ce n’est pas un film social sur la banlieue mais sur l’adolescence, qui veut tout dire, trop dire, avec une communication catastrophe qui fait claquer la porte à certains spectateurs et dire à nos voisins de fauteuil à la fin du film « qu’il est pas vraiment dur ce film » - ben oui ce n’est pas un film épouvante sur la banlieue ;
c’est un film un peu balourd sur l’individualité moderne, la question du choix et de l’action face aux déterminismes. Ça parle de l’anomie, de l’autonomisation d’une jeune fille ;
c’est un film qui aborde rapidement, le rapport au monde ouvrier, au travail et au système scolaire ;
c’est un film sur l’amitié et de ce côté-là, c’est plutôt vraiment réussi, on pense à la sororité décrite et revendiquée par Audre Lorde, Sciamma capte là quelque chose de très fort du vécu des femmes noires, il faut quand même lui reconnaître cette force. Certains commentaires et ceux des jeunes actrices elles-même convergent dans ce sens ;
Bande de filles est un film beau et juste quand il se laisse aller à la nuance, comme cette furtive épaulée des deux sœurs devant la porte de leur appartement juste avant (spoil) la fugue de Marieme, c’est un film beau et juste quand il évite les clichés ;
c’est un film qui oscille entre des scènes lumineuses - comme la scène du magasin de fringues qui est JUBILATOIRE (qu’on aimerait savoir péter de tels scandales à chaque fois qu’une vendeuse ou un vigile débile nous colle au train), et des poncifs fatiguants comme la scène de deal chez les bourges ;
c’est un film qui est parfois desservi par une maîtrise approximative du jeu des actrices ;
c’est un film qui parle avant tout de l’éclosion de la sexualité, de l’intimité et du désir de la jeunesse - ce qui fait glousser les jeunes filles afropéennes et maghrépolitaines qui sont nombreuses dans la salle ;
c’est surtout un film de cinéma, un film mental à l’esthétique troublante. Sciamma a la caméra sensuelle et minimaliste on ne le dira jamais assez.
Bande de filles rate le coche, sans être une catastrophe monumentale non plus, avec de belles scènes, un sens de l’image, des grosses ficelles, une belle utilisation de la musique de Para One pour chapitrer le propos et les évolutions de Marieme.
On reprochera donc surtout à ce film, un
un excès de bonnes intentions.
Bande de filles portait surtout beaucoup d’espoirs et de fait déçoit, parce qu’il semblerait que l’on soit nombreux à attendre du cinéma français qu’il aborde notre société telle qu’elle est, dans ses nuances de classes sociales et de parcours.
La déception et la colère de certains est grande parce qu’un film français avec des héroïnes noires, réalisé par une femme, on a pas vu ça depuis… Euzhan Palcy ?