PLPL reprend le flambeau

, par Nico Melanine

C’est vrai, il y a un petit coté avec lequel j’ai du mal, un petit quelque chose qui fait que je n’adhère pas de façon absolue à ce que peuvent écrire les collaborateurs du journal PLPL.

Et plus je m’interroge sur ce que c’est, moins j’arrive à le cerner en fait. Mais ça ne me dérange pas, et ce n’est peut-être au fond rien d’autre que cette distance critique nécessaire, ou méfiance pourrais-je dire, que j’essaye de garder de façon générale, de manière à éviter tout embrigadement idéologique quel qu’il soit. Ca peut paraître idiot mais ce n’est pas toujours si évident que ça.

PLPL, c’est donc ce journal dont le directeur de la rédaction, jusqu’à nouvel ordre (et à défaut de protestation de sa part), est Pierre Carles. Pierre Carles qui a réalisé des chroniques
télévisuelles (insipides ?) pour l’assiette anglaise de Bernard Rapp (lui-même), qui a tourné Pas vu Pas Pris, une cassette vidéo à regarder en famille et qui a malgré tout réussi à faire scandale, et qui a récemment sorti un film sur Bourdieu, La sociologie est un Sport de Combat. Si vous écoutez Daniel Mermet, vous en avez sans doute entendu parler de PLPL, il y a un peu plus d’un an, lors de son lancement. Et si vous n’écoutez pas Daniel Mermet, tant pis pour vous, vous devriez.

Dans l’équipe de PLPL on retrouve aussi l’écrivain Serge Halimi, et tous ensemble donc, les collaborateurs du journal s’efforcent de dénoncer l’esprit d’asservissement général qui règne parmi ces Nouveaux Chiens de Garde que sont les journalistes.

Si certaines de leurs attaques (personnelles) sont un peu faciles - je pense par exemple à BHL, Schneidermann ou Pivot auxquels même ma grand-mère n’accordait aucun crédit - la plupart sont bien senties et font plaisir à lire - je pense à Viviant, Colombani, Semprun ou des journalistes plus ou moins inconnu(e)s comme Josyanne Savigneau, directrice du Monde des Livres et dernièrement Laisse d’Or de PLPL. C’est d’ailleurs là une des forces de PLPL : les collaborateurs du journal travaillent souvent au sein mêmes des rédactions des journaux qu’ils critiquent et savent par conséquent de quoi ils parlent. PLPL est bien documenté, et dénonce, preuves à l’appui. Et s’il est vrai que globalement, on n’apprend rien qu’on ne suspectait déjà (c’est le sentiment (d’insatisfaction ?) principal que m’avait laissé le documentaire Pas Vu Pas Pris), on en a, grâce à PLPL, l’assurance et la certitude.

Ce qui est plaisant aussi, surtout à une époque où le verbiage consensuel politiquement correct est bien souvent de mise (on ne parle plus par exemple, comme le disait un sociologue récemment disparu, dénonçant une certaine utilisation du langage, de ’débauchage’ mais de ’dégraissage’), c’est le ton radical. Les ennemis sont désignés, raillés et insultés. La bonne vieille technique situ du recours à l’insulte. Dans certains cas, on n’a pas fait mieux.

J’aime bien, en outre, le coté satirique, tant parce qu’il s’inscrit dans la tradition d’une certaine critique du pouvoir que pour sa puissance comique. Je pense ici notamment au crétin moustachu Edwy Plenel qui est constamment tourné en ridicule. Consacré roi du Téléachat, il est placé, non sans raison, en concurrence directe avec Pierre Bellemare(1).

Mais PLPL ne se limite pas aux attaques personnelles. Le journal traite aussi de l’influence que peuvent avoir les médias sur la société en général aussi bien que sur les consciences individuelles. Scrupuleusement, il démontre, démonte et dénonce les tentatives de manipulation, lavages de cerveaux et autres matraquages médiatiques qu’on nous impose, comme l’a récemment fait, à l’unisson, l’ensemble de la presse, essayant de créer un semblant d’actualité autour du thème racoleur - autrefois cheval de bataille réservé à une extrême droite en mal d’imagination - de l’insécurité.

PLPL, quoi qu’il en soit, me semble un journal nécessaire. Tant dans les sujets abordés (disons, le sujet abordé, une critique de la presse moderne et de toutes sortes de collusions politico-journalistiques) que dans le ton. Peu de voix se font entendre qui vont dans ce sens - à savoir conspuer, plutôt que de s’en réjouir béatement, l’arrivée d’une ’nouvelle monnaie gluante’ ainsi que la propagande qui l’accompagne, ou dénoncer, par exemple, la récupération du mouvement ATTAC par les médias et la déviationnisme contre-révolutionnaire de certains de ses dirigeants – et elles sont les bienvenues.

Journal nécessaire donc, mais peut-être pas suffisant. On reste souvent sur un sentiment général de frustration, et d’insatisfaction. Une critique des médias, certes, mais après ? Après, on a tendance à attendre quelque chose. Un développement, un exposé d’idées, de visions, qui ne serait pas nécessairement et exclusivement construit sur une critique préalable des propos tenus par les médias, par exemple. Ou simplement des articles traitant d’initiatives intelligentes et dignes d’intérêt. L’article/document du numéro 1 consacré aux Prisons de la Misère de Loïc Wacquant était à cet égard tout à fait intéressant. Il demeure une exception trop rare.

Certes ce n’est probablement pas le but que se sont fixés les collaborateurs de PLPL. Mais se pose alors ici le problème de la limite de la critique des médias. C’est une des questions que PLPL soulève au fond, savoir quel est l’intérêt et quelles sont les limites de la critique sociale en général, et de la critique des médias en particulier. Si l’intérêt me semble évident, les limites le sont moins, mais elles existent cependant.

Cette question se trouve être au centre du dernier livre du philosophe Jacques Bouveresse, Schmock ou le triomphe du journalisme. Son livre est en effet consacré au travail de l’écrivain autrichien Karl Kraus, qui au début du siècle a créé et dirigé seul la revue Le Flambeau(Die Fackel), dans laquelle il dénonçait inlassablement les compromissions et comportements délictueux de l’élite des journalistes viennois. Dans son livre, en plus d’exposer le travail de Karl Kraus, Jacques Bouveresse s’interroge donc sur la pertinence d’une critique des médias, et tente de mesurer la validité et surtout la portée de celle-ci au sein de la société.

Mais un autre des intérêts du livre reste évidemment son aspect historique. Karl Kraus est en effet un des premiers, sinon le premier, à avoir formuler une critique radicale et sans concessions du journalisme, de la presse et du monde médiatique dans son ensemble. Dans Le Flambeau, journal satirique qui a souvent recours à la provocation ironique, Karl Kraus dénonce notamment ce qu’il appelle la ’journalisation’ des esprits, et de façon générale la tyrannie qu’exerce la presse sur les institutions comme sur les individus.

A cet égard, et pour en revenir à PLPL, il me semble que l’on peut considérer que le journal de Pierre Carles s’inscrit directement dans la continuité du Flambeau. PLPL est sans doute un des dignes successeurs du travail de l’écrivain autrichien, et c’est dans ce sens que l’on peut dire que PLPL reprend le flambeau – le flambeau krausien de la critique des médias, donc.
La formule est un peu facile, mais les travaux de Kraus comme de PLPL sont tout à fait dignes d’intérêt.
L’héritage reste à étudier, pourquoi pas, à la lumière du livre de Jacques Bouveresse.

P.-S.

(1) On rigole, on rigole, mais Edwy a tout de même reçu le prix Médicis essai. On ne s’en étonnera pas du reste. Après avoir fait probablement plus de publicité que n’importe qui pour les livres de ses amis sur LCI et avoir soutenu l’édition de livres nuls, les éditeurs ont remercié leur meilleur agent commercial en lui attribuant un prix qui aura pour effet d’essayer (en vain) de faire monter les ventes de son livre nul (et moustachu). Juste retour des choses.