Le roi des rats (à propos du 5 mai)

, par Alfred

Le 5 mai, je ne voterai pas. Et pas seulement parce que je ne serai pas la. Entre la peste brune et le rat qui peut la transmettre, il n’y a pas de choix possible.

Les 17% de Le Pen n’ont pas fait trembler les Grandes Plaines et l’Illinois.

Au mieux, c’est avec une curiosité sincère qu’on évoque la chose pour l’avoir entendu à la radio, vu à la télé, un homme politique francais d’extrême-droite passe au deuxième tour des élections présidentielles, qu’en penses-tu ? C’est qui ce Le Pen ? Comment il est ?

A la campagne, la politique internationale est aussi éloignée des têtes que la musique internationale. On écoute volontiers et on oublie, le splendide isolement américain c’est aussi cet incroyable propension à n’avoir absolument aucune idée de ce qui se passe à l’extérieur du pays, tant que cela ne concerne pas les USA. Mais on en parle quand même. Je suis francais après tout, et on voit bien que ca me turlupine. "C’est quoi exactement, un fasciste ?", me demande un teenager. Hm. C’est comme un nazi, plus ou moins. Je lui donnerai bien un cours d’histoire rapide mais je ne le sens pas du tout, parler de Le Pen me met deja suffisamment la gerbe.

"Comme Bush, quoi", me répond-il. "Tous mes potes détestent George Bush". Je ne dis rien. Le terme de nazi s’est tellement galvaudé, on l’emploie un peu n’importe comment. Je vois bien ce qu’il veut dire par là, cela dit. C’est d’autant plus interessant qu’il y a peu, j’ai surement défini Chirac comme un facho doublé d’un escroc. Ca ne se dit plus, ca. Depuis que Jospin s’est fait éjecter comme un malpropre des présidentielles, on n’a plus qu’à choisir entre le facho amical et le vrai facho qui fait peur. Tout a coup Chirac est notre dernier rempart de la république des droits de l’homme de la France éternelle black blanc beur qui gagne, on sait toujours ce qu’il a pu dire, ce qu’il a pu faire, ce qu’il a emprunte à Le Pen au long du chemin qui l’a mené à l’Elysee, mais on balaie tout ca sous le tapis parce qu’au 5 mai, il nous faudra choisir entre la peste brune et le rat qui, l’air de rien, va contribuer à la faire perdurer.

Au 5 mai, il s’agira de faire son devoir citoyen, nous dit-on, " Pas de détail, votons tous Chirac en nous pinçant le nez. On s’arrangera après. Sauvons les meubles et on retapera la maison plus tard ". Évidemment ça se tient. Le chevalier blanc de la République crie haut et fort qu’il n’y a pas de collusion possible avec la bête immonde. Ah tiens. Tout le monde a le droit de changer d’avis, bien sur. Mitterand fut d’extrême droite avant de tuer le socialisme. Si Chirac draguait le FN dans les 80s, il a changé maintenant. Au nom de ces droits de l’homme qu’il chérit tant, Chirac ne se pretera pas a l’exercice dangereux de la discussion avec le faf.

" C’est pas un peu contraire aux idéaux démocratiques, ca, me demande un ami étudiant ? Le Pen n’a-t-il pas obtenu ces votes légalement ? " Pourquoi pas de débat, tradition tacite depuis 1974 ? Je lui explique gentiment que ca ne se passe pas comme ca chez nous. Le racisme est illegal, d’ailleurs on pourrait éventuellement interdire le FN si on voulait. " Il faut que je me renseigne sur la politique francaise me dit-il, confus. Je ne savais pas ". C’est que ce n’est pas facile à expliquer tout ca. Comment expliquer que les règles changent si le FN réussit en les appliquant ?

Comment expliquer que la caution morale qu’est Badinter soutient le choix de Chirac, en nous expliquant en gros que ce débat serait la honte pour la France au niveau international ? Les principes démocratiques ne seraient-ils pas les meilleurs outils pour contrer la bête ? Il faut croire que non. Notre meilleur outil est une pourriture professionnelle, qui n’a pas hésité à emprunter au FN ses plus belles idées pour en être maintenant là où il est. Notre seule défense, dit-on, est un président qui s’affiche aux cotes de Millon, qui s’était vu il y a peu mis en quarantaine après apparition de bubons bruns.

"Il faut faire front contre le Front, nous dit-on. Chirac passera avec 80% des voix, nous assure-t-on. On massacrera le FN aux législatives et on oubliera tout ca, ajoutent certains. On ne votera pas pour Chirac, mais contre Le Pen". Il n’aura pas ma voix. Par choix, s’entend. Pas seulement parce que je pense qu’en refusant le débat, Chirac fait le jeu de Le Pen et en même temps renie les valeurs démocratiques qu’il prétend representer : Le Pen en effet, a gagné le droit d’aller au deuxième tour.

Est-ce tellement dur de démonter un fasciste à la télé ?

Il n’est pas digne, très bien. Mais il est là. " Deal with it ", comme ils disent par ici. Monsieur le President, je vous croyais rompu aux exercices oratoires. Ce devrait être la chance de votre vie, Monsieur le chevalier blanc, de nous montrer de quoi vous êtes capable. Le Pen nous dit-on, a de quoi se couler lui-meme, de quoi se montrer pour ce qu’il est rien qu’en ouvrant la bouche. Est-ce tellement dur de demonter un fasciste à la télé ? Si oui, pourquoi ? Repondez dans la case blanche.

Je ne voterai pas Chirac, aussi parce qu’il nous prépare (comme le disait Yaroslav dans son article) un coup à la Thatcher. Derrière son panache blanc, avec la bénédiction de notre bon peuple de France, Chirac peut dès maintenant se permettre de rallier les plus frequentables des pestiferés. Mieux que le fascisme en uniforme, le fascisme en costard qu’il nous refile à petite dose est la recette que la dame de fer appliqua en d’autres temps en Angleterre.

Oh scandale.On ne peut pas comparer Le Pen à Chirac. C’est à force de traiter tout le monde de facho qu’on ne reconnait plus les vrais quand ils arrivent. C’est des gens comme moi qui font que Le Pen arrive. Pas ma faute, les enfants, désolé, ce n’est pas mon incivisme qui a amené Le Pen au deuxième tour. Ce n’est pas l’abstentionnisme de gauche, ce n’est pas l’apathie politique des français.

Dans la famille des responsables qui se cachent, je convoque la gauche caviar et la droite qui flirte avec ses extrêmes, je convoque les effets médiatiques, l’Insécurité, qui permettent au borgne de gambader dans les champs sans avoir à mener de campagne. Je vous presente le chevalier blanc de la république en danger, monsieur Chirac, le rat qui amène la peste sur notre joli bateau. Alors quoi. Des Grandes Plaines où je suis bien au chaud à attendre que ça se passe, je peux me permettre de pérorer sur les évènements actuels, comme tout le monde.

Quelle solution à notre crise ? Je sais pas moi, une gauche de gauche, par exemple ?

Un parti socialiste socialiste ? Je n’ai pas de solution, évidemment. Je ne sais qu’une chose, cela dit. Chirac n’aura pas ma voix, parce qu’il ne l’a jamais eue auparavant, et qu’il y avait une bonne raison. Chirac n’est pas un fasciste ; mais Chirac est le genre d’ordure qui met du sucre sur leurs mots, des costumes trois pièces sur leurs épaules. Les scrupules de Chirac à cotoyer la lie droitière sont pragmatiques, ils se monnayent et se modifient. Deja Millon redevient fréquentable.

Le Pen n’a pas changé, Chirac non plus.

Le 5 mai, j’irai à la pêche et vous pourrez m’insulter tout ce que vous voulez. En ces temps sombres tout le monde a sa petite idée sur la meilleur manière de defendre la république en danger. La mienne est de rester fidèle à moi-meme. L’autre jour on évoquait au bar du patelin où je suis à quel point la cote de popularité de Bush avait monte après le 11 septembre, comment il avait, dit-on, finalement pris sa vraie dimension de président ou je ne sais quoi. Ca fait rire, ça, en France, Bush Jr., le cretin, a changé de dimension ? Il a découvert qu’il y en avait quatre, vous voulez dire ? Qui, dans notre magnifique république, oserait croire que Bush a été profondément changé par les évènements, plutôt qu’il ne les a utilisé pour faire passer les plus contestables de ses choix au nez et a la barbe de l’opposition ?

Alors regardez-vous dans les yeux ; auriez-vous voté pour Chirac auparavant ? Si non, pourquoi ? Allez vous voter pour lui maintenant ? Si oui pourquoi ? Chacun remplit sa case comme il veut, bien sur. C’est aussi ca, la démocratie, n’est-ce pas. Chirac reste pour moi l’homme du bruit et de l’odeur. On ne me fera pas croire que quiconque capable d’une sortie aussi ignoble, quelle que soit la raison, est en quoi que ce soit un rempart contre le fascisme. Je ne voterai pas Chirac. Tel le dégoutant défaitiste qui fait le jeu du FN que je suis, je regarderai les deuxième tour des élections de loin, en buvant des bières. Et une fois Chirac retourné triomphalement a l’Elysee, j’observerai le lent travail des rats. Il sera toujours temps de nettoyer le bateau, à ce moment.