Lois Devaquet, années Mitterand, montée du Front national, syndicalisme lycéen, la fin des années 80, c’est l’entrée en politique pour toute une frange de la jeunesse française de l’époque. S.0.S racisme fait déjà vomir par son inertie et sa duplicité. Face aux grandes centrales antiracistes, des mouvements dynamiques comme le SCALP apparaissent sur fond de rock engagé, en colère mais joyeux et festif, chanté en français. Infoshops, distros et toutes ces autres réactions et expressions libres éveillées par la scène alternative keupon et antifasciste française explose quand Jean-Marie Le Pen fait 15% en 1988. La jeunesse emmerde le Front national. En 1990, des intellectuels parisiens créent Ras-le-Front.
Les fanzines [1] naissent et se défont à chaque coup de gueule avec Bérurier noir et le mouvement de la jeunesse comme modèle. Les héros du peuple se nomment Earquake, Hyacinth (de luxe), On est pas des sauvages, No Government, New Wave, On a faim !, Arnaque aux punks... [2]. Des membres de ce qui deviendra Melanine montent des mini-distro, des labels K7s, font du trape trading (home taping is killing the music industry avant le peer to peer)...
Vingt ans après, difficile de digérer que ce mouvement est comme un lointain mirage dans la France de l’identité nationale. Les idées de Le Pen ont peu à peu fait leur chemin dans les esprits, dans les discours politiques, et nos indignations de l’époque, la jeunesse emmerde le Front national, ne sont pas devenues un mouvement politique d’ampleur. L’entrisme JCR, les scissions Scalp-Reflex vs No pasaran, les cabales polar via Ras-le front fatiguent les provinciaux et déchirent les parisiens. Comme la marche pour l’égalité, un mouvement pour rien [3].
Va et vient militant dans cette nébuleuse politique antifasciste et syndicale jusqu’au ras-le-bol : dans les années 90, écoutons Unsane et Cop Shoot Cop à fond, en lisant Virginie Despentes et puisqu’« on se lasse de tout », qu’ils se meurent ou sont passés à des majors [4], trainons nos guêtres sur les bancs de la méritocratie scolaire, sur fond de guitare noise. Le soleil se lève aussi à l’est.
Melanine.org nait des cendres de ces autres projets, après cette effervescence politique. En gardant un peu de l’esprit anti-autoritaire de départ tout en rentrant dans les cases, happés par les études puis le salariat. A cheval entre deux visions de comment vivre dans ce monde, entre colère politique et le profil bas pragmatique des sans fortunes, marge et canigou-ronron, les tensions ne se résoudront vraiment jamais.
Sous forme papier, le magazine est initié par La Peg et Alfred. Centré alors sur des questions essentiellement culturelles (musique, littérature, arts), il devient un site internet qui brasse plus large en 2000 (sous attila-php, puis sous spip en 2001). La mission si vous l’acceptez sera de publier progressivement les archives.
Une partie du collectif commet en 2000, la musique d’un spectacle de danse sous le nom de Rummenigger [5].
Une sorte de radioshow
En 2003, Melanine.org est invité à produire une émission
de radio pour le projet allemand Juniradio : ce sera « Not so typical [6] », une émission qui questionne les stéréotypes musicaux. Les musiques additionnelles, conduites et montages sont effectuées par Rummenigger, devenu collectif à géométrie, activités et noms variables.
Rummenigger participe ensuite fin 2003 au projet radio Reboot.fm [7] en produisant cinq émissions thématiques sous l’enseigne « Original Schumacher, la revanche de Battiston », qui devient progressivement Original Schumi, pour les intimes, Harald étant trop obscur. L’émission se stabilise dans une forme plus traditionnelle et moins thématique et s’égaye de manière aléatoire sur les ondes Bruxelloises et sur Internet [8] depuis 2006. Hormis des playlists et selector, Original Schumi explore des thématiques politiques et sociales, et à fond de cale, les circulations culturelles sur l’Atlantique Noir.
D’une certaine façon on peut dire que c’est la bande son de Melanine.
Home made music since 1997
Entre temps, MMD ravive une autre époque et prend les commandes de Krill Konzern, le micro-label de Rummenigger devient micro-netlabel disponible via Archive.org. Grand bond en avant, moins de frais, plus d’écoutes (on tirait des cdr de 50 à 100 ex., MMD s’approche des 5000 download).
En 2006, Melanine.org, tout comme Cafards.org (défunt webzine polar et SF) devient officiellement une activité parmi d’autres du collectif informel Rummenigger et la première rencontre du collectif a lieu à Bruxelles.
En 2007, avec Aliens at home, Rummenigger explore les terres de l’afro-futurisme et de la science-fiction. Ils touchent terre à l’occasion d’une soirée radio-live à Berlin le 15 décembre 2007, en collaboration avec backyardradio and Ä bar.
En 2008, Melanine part plus ou moins sur mars. Chacun (grosse proportion de rats de bibliothèque d’un côté et de fauchés intérimaires de l’autre) vaque à ses occupations sans lâcher les envies collectives. En 2009, le cadavre bouge encore. Drivé par une webmestre souffreteuse, le site est en refonte depuis des mois, malgré l’intégration des archives de Cafards.org et plein de projets défiant les lois de la gravité et surtout l’espace et le temps : d’autres archives, de nouvelles émissions thématiques, une revue papier... Lentement mais alors, surement lentement, le vaisseau continue son cheminement. On en est à fêter plusieurs fois nos dix mais non quinze ans, en fonction des courants de reconstruction historique (c’est comme la chute du mur, c’est soit Gorbatchev, soit le Jean-Paul, soit Nixon en Chine).
Et bon an, mal an, on est toujours là.
A suivre