Automne allemand

, par Nico Melanine

Il y a 25 ans, trois membres de la RAF (Fraction Armée Rouge) ont été retrouvés morts dans leurs cellules, à la prison de Stammhein, en Allemagne. A cette occasion, l’ICA (Institute of Contemporary Arts) de Londres, a décidé de programmer quelques films autour de la RAF.

25 ans. 25 ans déjà qu’Andreas Baader, Gudrun Ensslin et Jan-Carl Raspe ont été retrouvés morts dans leurs cellules respectives, à la prison de Stammhein, en Allemagne. Un jour d’octobre 77, le 18 précisément, où j’existais si peu que je n’étais même pas personne. Suicide selon l’état allemand, meurtre camouflé selon les gauchistes de tout poil. Un suicide providentiel qui est parfois difficile à croire : comment ces détenus, placés dans des cellules spéciales et sur qui toute l’attention portait à l’époque, ont-ils pu communiquer entre eux et ont-ils en effet réussi à se procurer des armes dans la prison la mieux gardée de toute l’Allemagne ? Version douteuse, donc, mais qui reste pourtant tout à fait plausible, probable. En remettant les clés de ses menottes au juge lors de l’un de ses procès, Mesrine n’a t-il pas essayé de montrer que l’on peut tout se procurer dans les prisons, même les plus sécurisées, où la corruption est reine ?

Suicide ? Exécution camouflée ? Choisissez votre camp. Suicide forcé ? Qui sait ? On rappellera qu’en 1974, Baader avait reçu la visite d’un tout jeune militant gauchiste nommé Jean-Paul Sartre, qui à la suite de sa rencontre avec le détenu avait joint sa voix à celle d’une partie de la gauche intellectuelle allemande qui n’avait alors de cesse de dénoncer les conditions de détention réservées aux terroristes par l’état policier allemand. Plusieurs de ces terroristes enfermés à Stammhein ont malgré tout péri, dont Holger Meins d’une grève de la faim un peu plus tôt en 1974, et Ulrike Meinhof qui s’est - semble-t-il - pendue dans sa cellule, à bout de force et terrassée par l’isolement qui lui était imposé.

Bref, 25 ans, ça se fête. A cette occasion, l’ICA (Institute of Contemporary Arts) de Londres, dans l’une de ses rares bonnes initiatives, a décidé de programmer quelques films autour de la RAF (Fraction Armée Rouge). Parmi ces films, Germany in Autumn (Deutschland im Herbst), œuvre collective datée de 1978, réalisée entre autres par Fassbinder et Schlöndorff. Ce film, très intéressant, dépeint intelligemment et de façon parfois amusante le climat politique, climat de tension et de terreur, qui régnait à l’époque de la mort de Baader, époque restée dans les mémoires comme l’automne allemand (Deutscher Herbst). En dehors de la RAF en effet, d’autres groupes terroristes - comme les Cellules Révolutionnaires ou le Mouvement du 2 juin - étaient actifs à cette époque dans la république fédérale allemande. Et en octobre 1977, après les meurtres d’un juge puis d’un banquier un peu plus tôt dans l’année, Hans-Martin Schleyer, responsable patronal et ancien nazi (il a appartenu aux SS) fut kidnappé, puis assassiné au lendemain de la mort de Baader. Le climat était donc tendu, et un soir, lors du journal, sur quelque chaîne de télévision, un espèce de Roger Gicquel allemand a sans doute déclaré quelquechose comme : ’L’Allemagne a peur’.
Germany in Autumn a une valeur de témoignage, comme une valeur documentaire historique. On y voit Fassbinder qui se met en scène dans cet automne allemand, mais aussi des images d’archives, des images de l’enterrement de Baader, Ensslin et Raspe. On y relèvera le témoignage de la sœur de Gudrun, racontant que les communes autant que les particuliers refusaient d’organiser l’enterrement, comme certaines références historiques, dont celles faite aux spartakistes et à Rosa Luxembourg qui, reprenant un mot d’Engels, expliquait d’une façon qui semble tout à fait prémonitoire dans ce contexte, qu’il n’y avait qu’une alternative pour l’Allemagne : le socialisme ou la barbarie.
On retiendra aussi la confession d’Horst Mahler, ancien membre de la RAF, cherchant à comprendre, expliquer comment il est possible d’aboutir à des actes terroristes, comment on peut être amené à vouloir supprimer coûte que coûte une fonction (juge, banquier, patron, policier…) - et à travers elle un ordre des choses - au mépris de l’homme, des hommes, et comment des convictions politiques peuvent sembler légitimer de tels actes. Confession presque intelligente, presque touchante que celle de cet Horst Mahler, qui en plus de s’essayer à des réflexions d’ordre quasi-philosophique fut un temps avocat pour Baader et ses compagnons, avant de virer quelques années plus tard du rouge au brun en se faisant l’avocat des idées nationalistes du NPD (Parti National Démocratique d’Allemagne), parti d’extrême droite allemand.
On passera, enfin, sur le final un tantinet mélodramatique, où l’on voit une jeune mère tenant sa fille par la main s’en revenir de l’enterrement de Baader, Ensslin et Raspe, avec en musique de fond Here’s to You de Joan Baez (et Ennio Morricone pour la musique, si ça vous intéresse), chanson mi-poignante mi-pénible à la mémoire de Sacco et Vanzetti, ici presque déplacée.

Un autre des films présentés par l’ICA était Black Box Germany (Black Box BDR), documentaire réalisé en 1994 par Andres Veile, qui aborde de façon originale la question du terrorisme en Allemagne. Le film met en parallèle les parcours personnels d’Alfred Herrhausen, dirigeant et porte-parole de la Deutsche Bank (ainsi que, oh surprise, ancien SS) qui fut assassiné en 1989 par la RAF, et celui de Wolfgang Grams, affilié à la RAF, qui aurait peut-être participé à cet assassinat et qui a en tout cas bel et bien été tué lors de son arrestation par la police allemande. A travers les biographies de ces deux personnes, Veile parvient à situer le contexte historique et social dans lequel la bande à Baader a vu le jour (héritage pesant de la seconde guerre mondiale, manifestations étudiantes à la fin des années soixantes…), tout en retraçant certains des faits et gestes marquants de la RAF. Le documentaire se révèle tantôt poignant, tantôt drôle (tant les deux parcours personnels présentés sont, évidemment contrastés et opposés), mais au final certains procédés sont un peu faciles et les éléments historiques, trop rares, finissent par être noyés dans un flot de détails biographiques de parfois peu d’intérêt.

Le clou de cette ’saison RAF’ devait être Baader, film réalisé en 2001 par Christopher Roth, qui se concentre sur la période cruciale de la formation et des débuts de la RAF, entre 1967 et 1972, et qui propose une bande son assez alléchante, avec notamment MC5, Suicide et Can (qui nous changent de Joan Baez). Présenté pour la première fois en Angleterre, le film s’annonçait plutôt intéressant, mais à peine avions-nous pu voir Gudrun et Andreas s’embrasser et entendre Rob Tyner gueuler ’kick out the jams, motherfuckers !’ que le son fut coupé, puis le film arrêté…pour ne plus jamais recommencer. Tout en soupçonnant le projectionniste d’être fan de Joan Baez et d’avoir délibérément mis le feu aux bobines, je maudissais une fois de plus l’ICA et me promettait de ne plus jamais remettre les pieds dans ce lieu d’attrape-couillons, où aime à se réunir une jeunesse londonienne excentrique et branchée en mal de rébellion. Promesse qui fut évidemment brisée quelques jours plus tard dans l’allégresse la plus totale.
Je persiste néanmoins : boycottez l’ICA !
Mais je m’égare.

Pour en revenir à Baader, si vous n’avez pas l’opportunité de voir ces quelques films, ne manquez pas l’occasion de lire le magnifique texte de Don DeLillo intitulé Baader-Meinhof. Cette nouvelle, initialement publiée dans The New Yorker d’avril 2002, vient de paraître dans La Nouvelle Revue Française (excusez du peu) du mois d’octobre 2002, entre un texte relativement médiocre de Claudio Magris et une mauvaise rédaction d’Olivier Rolin sous forme de liste à la BHL sur le sujet : racontez des anecdotes qui n’intéressent personne sur la vie de vos idoles (ça aurait pu être bien, mais ça n’intéresse personne). Ecrit dans un style clair, simple et remarquable, le court récit de Don DeLillo est celui d’une rencontre qui se déroule dans une salle du musée d’art moderne de New York (MoMA), dans laquelle est exposé un cycle de quinze toiles évoquant toutes des membres de la RAF et inspirées pour la plupart par un même événement, l’enterrement de Baader, Ensslin et Raspe. Le thème de la mort, omniprésent dans l’exposition présentée au MoMA, est également au cœur, quoique de façon plus sous-jacente, de la nouvelle de DeLillo, comme il l’était déjà dans certains des romans qu’il a pu écrire, dont White Noise. Un thème fort, qui est tout à fait à propos ici, puisqu’il est sans doute l’un des plus récurrents, ainsi que l’un des plus décisifs de toute l’histoire de la RAF.

Deux sites en anglais, assez complets, sur la RAF, ses membres, le détail des évènements... :
http://www.baader-meinhof.com/
http://www.crimelibrary.com/terror...

En français, une brève chronologie sur le site de... Courrier International : http://www.courrierinternational.com/dossier...