Every sperm is sacred : Le temps qui reste ou le portrait réac d’un pédé petit bourgeois

, par Polo

Dans l’acclamé « le temps qui reste », François Ozon met en scène sa vision morale et bourgeoise de l’homosexualité, saupoudré de machisme et de haine de soi. Pour le cinéaste, le salut homosexuel passe par un re-cadrage en règle, redemption pre-mortem. Travail, famille, patrie : la presse peut applaudir, les normes sont bien gardées...

Vieux pds se bécotant dans un coin

Devant l’emballage, on a spontanément (enfin j’ai eu) tendance à fuir. Rapport de traçabilité : un film, français ; le rôle principal, un pd. Autrement dit pour la comédie bien franchouillarde, un genre à part entière usé jusqu’à la corde - on oubliera (de grâce !) la cage aux folles et le placard. Mais là, promis, c’est du sérieux, c’est du Ozon. On a affaire à un drame. Plus question de pds, mais de vie et de mort. Boîtes de kleenex en promotion à l’entrée des cinoches. Les spin doctors cultureux (à défaut d’être boutonneux) ont des trémolos dans la voix.

Finalement, tenté par l’invitation d’un charmant jeune homme, on paye plein pot son ticket d’entrée. Attention les yeux ! La bobine est programmée dans une des grandes salles du « multiplexe » des Halles (au centre de Paris). Presque vide un mardi soir. Comme quoi, en plein « quartier gay », le comportementalisme commercial montre ses limites. Défaillance dévoilée. On s’en amuse. Deux couples de vieux pds se bécotent dans un coin, deux jeunes hétéros également. Je vais pas tarder à faire de même avec mon compagnon d’un soir, tellement ce film, le temps qui reste me semble plat et prévisible (faut dire, de suite, la couleur est annoncée, la mort est au bout, bouh !).

Ça pue ou ça suinte ? Les deux, mon camarade !

La presse, elle, a globalement apprécié. C’est de l’Art, obligé. Le Monde, en effet, nous a fait part de son enthousiasme dans une de ces envolées lyriques bien connues des Inrocks, trop envolées d’ailleurs pour être honnêtes. Ça pue le retour d’ascenseur. Ou bien, afin de brosser dans le sens du poil des lecteurs-consommateurs « bobos », ça suinte l’intérêt commercial bien compris. Faut pas oublier que les lecteurs sont autant de futurs « clients » pour les deux parties. Consensualisme ? Politiquement correct ? Copinage ? Tout ça à la fois, mâtiné d’un lourd, et désormais traditionnel, soupçon de rentabilité. Toujours et encore. Un pd, la vie, la mort. Ça fait tic tac. Le temps, c’est de l’argent, isn’t it  ? D’ailleurs, un peu de sérieux. La promo du « dernier » Ozon était-elle si paradoxale ? Ok, navigant entre hommage convenu à un énième « film d’auteur » et racolage issu d’un « marketing gay » [1] de plus en plus désespérant, on a pu le croire. Mais, passons.

On demande un intermède ? Parfait, parenthèse croustillante en rayon. Après le Increeeeedible Dolby Surrouuuuuund, découvrons la scène incroyable du fist ! Et sur un plateau d’argent s’il vous plait. Pour les marchands de lessives, « la » scène du film. À ma gauche, Bern, le fou-doux ?-dingue des rois-reines ; à ma droite, Ardisson 1er, le mégalo-réac ami d’Arlette, d’Olivier et de José... Et mêmes interrogations (refoulées ?). Le tournage d’un fist, c’est tromper ? En première classe d’ailleurs, dans une vraie backroom. Fatwas et damnations. Pêchés mortels et sauce tomate. Non, une nuit en enfer... On parle malaises sur le plateau, hétéros très sensibles, et figurants baisouillant allègrement. Magie noire, orgies macabres. Trente ans de luttes, et les pds toujours la plume dans le cul. Version SM et sorcellerie. Retour à la case départ...

À la recherche du temps perdu, bis.

Repressurisation. Des bruits de couloirs passons au discours d’amphis. Question pub, on parlait paradoxe. Or, cette posture commerciale traduit en réalité la politique ambiguë (osons les grands mots !) d’un tel projet cinématographique. Retour sur images : François Ozon filme l’agonie d’un jeune homme de bonne famille d’une trentaine d’années atteint d’un cancer incurable (y en a qu’on pas de chance). Devant une guérison improbable, celui-ci, interprété par Melvil Poupaud (forcément sexy), décide de se laisser mourir en quelques semaines sans traitement et sans tenir au courant ses proches (et là, c’est le drame).

Photographe de mode réputé et choyé, voyageant aux quatre coins du monde pour « shooter » des modèles, snifant rails de coke et sirotant coupes de champagne, Romain est pd. Importance cruciale. En effet, contrairement à certains qui ont vu dans le film d’Ozon un simple questionnement - évidemment « universel » - sur le sens de la vie, le cinéaste, profitant d’une mise en scène « existentielle », nous propose en sous-main l’idée qu’il se fait - « sa » conception - de « l’homosexualité », mais peut-être est-ce son inconscient social qui parle...

Si Ozon se défend d’avoir réalisé un film pd - ne cessant de répéter qu’il n’a pas choisi de faire mourir son héros du sida parce que... « trop connoté » - le choix d’avoir rapproché la question du temps qui passe et un type de sexualité alternative est pourtant loin d’être anodin. En effet, cette question - ça fait tic tac - et celle du sens de la vie, son corollaire, se conjuguent ici, comme dans d’autres circonstances, dans une même interrogation à l’égard des homosexualités sur la place de l’Homme, la vision de son avenir, et de son accomplissement. Et pour les boutinistes de droite comme de gauche, ces sexualités sont forcément tragiques parce qu’elles rompent « l’ordre naturel » - symbolisé par un cycle de vie visant à la reproduction - fondé sur une structure de société verticale et patriarcale (c’est-à-dire la reproduction de toutes les dominations).

Bref, pour ces âmes en peine, elles enterrent tout idée de Duce. Jésus, reviens à la maison ! Le Salut est devenu ringard... L’invasion des gueux, païens, et autres hérétiques est imminente. Pour eux, les homosexuel(les) sont ainsi incapables de dépasser le « stade anal »  ; autrement dit, « ceux qui en sont » sont incapables de s’accomplir en tant qu’humains responsables, sont incapables de devenir adultes, c’est-à-dire incapables de s’inscrire dans la temporalité conformiste et uniforme d’une société hétéronormée. Incapables, Handicapés, kif kif. Mineurs, ils resteront mineurs. Le temps est d’abord affaire de pouvoir, ne l’oublions pas. Un pd, la vie, la mort. Ça fait tic tac. Le temps, c’est de l’argent, isn’t it  ?

Ah ? c’est le sida ?


Tout en peignant une tragédie, Ozon aurait pu prendre le parti pris opposé : celui de la subversion, entre hymne à la liberté et promotion de l’autonomie, de l’éthique personnelle, et de la réinvention de la société. Mauvaise pioche, c’est tout le contraire... Mais, peut-être, n’avons-nous pas su apercevoir l’ironie du réalisateur à l’égard de ses personnages, la présence d’une mise à distance critique... ? Plutôt, autoportrait cynique, désabusé et mélancolique. François, Romain, même combat. Distanciation bourgeoise, rire du capital. Tragédie de l’homosexualité... peinture tragique. Mortification d’une posture mortifère ou esthétisme d’une pulsion de mort. On vous l’avait dit, c’est de l’art. Évidemment, la presse a salué l’évitement des bons sentiments, de l’apitoiement, et du misérabilisme... évidence de la posture artistique. Mais retour sur soi suintant la haine de... soi, mêlé au politiquement correct de l’époque. On tourne en rond... vers la rédemption. Ça suinte le portrait réac. Romain, face à son médecin : « Je ne vais pas vous le cacher, c’est grave... _ Ah ? c’est le sida ? ». Malaise. C’est « trop connoté », mais on joue avec. Triste expression d’une homophobie interiorisée, toujours et encore la pulsion de mort... Et la reproduction des schémas archaïques...

Famille, je vous aime


Qui a dit que l’homosexualité était le lieu de tous les possibles, de toutes les négociations ? Que ne ni. Première scène du film, les corps filmés - Romain et son petit ami, allongés dans leur lit, se réveillant doucement à la lumière du matin -, offerts aux yeux de la caméra, sont là pour inscrire la vision du cinéaste. L’ambiguïté est manifeste. Filmées en contre-jour, les fesses et les hanches du petit copain ressemblent à celles d’une femme aux côtés d’un Romain musculeux et mal rasé... Une femme aux côtés de Romain, on y croit presque. Mais non, c’est simplement son petit ami, plus jeune, et moins abîmé par la vie. Dans cette scène d’exposition, Ozon nous présente ainsi corporellement un couple qui, dans la suite du film, se révèlera très assymétrique  : d’un côté Romain, le macho, de l’autre, son petit ami qui reproduit les comportements « naturellement » attribués aux femmes par la société (c’est-à-dire, attente et amour don, contre initiative et amour désir que « l’on attend » des hommes). Autrement dit, plusieurs années après la cage aux folles, derrière le politiquement correct, on n’a pas avancé d’un millimètre : toujours les mêmes rôles, même entre deux mecs, il y a toujours celui qui fait la fille, et celui qui fait le garçon... et la réversibilité alors ? Ozon, le macho, préfère évacuer la question en offrant aux spectateurs de belles scènes de sexe. Il distille pourtant sa vision rétrograde tout au long du film... Quand ce n’est pas à travers le couple de Romain, c’est à travers les réponses proposées face à la mort. Travail, Famille, Patrie. Maréchal, nous voilà !

Avec Ozon, la sonnerie au mort laisse la place aux sirènes de la morale bourgeoise. En dehors de celle-ci, point de salut ! Et Ozon, en bonne âme charitable, fournit à son héros pd, et nous propose aussi, un salut en kit qui pourrait s’intituler apprendre à finir en... hétéro. Tel un commandant japonais sombrant avec son navire, Romain finit par accepter la proposition d’un couple de mariés en manque de semence. Sublime récompense, lui, le pd, s’offre à une femme sous les propres yeux de son mari. Trio fantasmagorique. Neutralité de l’homme non-désirant, absence de combat de coq. Toujours et encore, pouvoir du mâle... hétéro et blanc. Ça s’emboîte, pour le meilleur et pour le pire. Romain sera un père posthume. Face à la mort, le salut estampillé Ozon s’appelle donc la procréation. D’où ces images qui parcourent l’ensemble du film : des enfants insouciants jouant des jeux d’enfants, bien « naturellement » sous les yeux de leurs mères. Miroir troublé de sa sœur en famille, pour le meilleur, et pour le pire. Devant notaire, Romain, lui, reconnaît l’enfant et prévoit de lui transmettre l’ensemble de son héritage. Les formes sont respectées et les apparences sont sauves. Retour à l’ordre établi - ça va continuer à faire tic tac - ; autrement dit, Romain est réinscrit dans le cycle de la vie grâce au symbolisme de la filiation biologique. La tête haute, enfin majeur, enfin sa place, enfin son ticket pour l’Anpe. Point de subversion. Plutôt, le triomphe du pessimisme et du fatalisme, peut-être même, le règne de la honte.

Nos précieux fluides corporels


Pd honteux, fierté de la semence : c’est bien là la morale de cette histoire. Au bout du compte, un homme ne s’accomplit qu’en utilisant son « précieux fluide corporel » afin de renouveler... la vie. Justification primale de toutes les oppressions, mais rédemption assurée. Ce même « précieux fluide corporel » défendu par le général Ripper dans Docteur Folamour, celui de l’Amérique puritaine tournée en dérision par Kubrick pour l’occasion. Pour le coup, subversif et glaçant. Eros, thanatos. Le couple infernal. Et aujourd’hui, le champignon atomique. Mais, nous, les pds, mineurs, nous restons mineurs. Incapables de « construire », la société refuse que nous ayons, nous aussi, une histoire. La morale voudrait que nous tournions en rond, sur nous-mêmes. Êtres « narcissiques » et « autocentrés » que nous sommes ! Réinvention refusée, contenue, réprimée. Ozon a voulu filmer ça, inscrire sur la bobine cette (« sa » ?) vision réactionnaire de l’amour d’un homme pour un autre homme. Une vision machiste de derrière les fagots. Du cul, du cul, du cul .... Vous pouvez enfin vous endormir... Humour tristouille, cynisme d’une époque... il est 2h du mat. On doit avoir du mal à apprécier l’humour petit bourgeois... ou la haine de soi. Distanciation portée jusqu’au nihilisme. Extinction des feux. No Futur. Jusqu’ici tout va bien, jusqu’ici tout va bien, jusqu’ici tout va bien....

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Poupaud ou Palin, Ozon hésite

Notes

[1Après trente années de luttes homosexuelles pour une meilleure visibilité dans la société, le marché a finalement digéré ces revendications politiques en tranformant "les homosexuels" en "cible commerciale". Ce mouvement a été accompagné par les intérêts commerciaux des patrons du marché du sexe homo représenté en France par
le Sneg (Syndicat national des Entreprises Gaies). Aujourd’hui, comme toute "oeuvre artistique" est d’abord considérée comme un produit culturel, toute une stratégie marketing s’emploie à toucher la cible "gay" à travers du sponsoring de la presse homo.