Ma moman aussi aime Jim O’Rourke

, par Jerome

L’hurluberlu qui servait de référence avant-garde aux post-rockeurs de tout
poil est désormais presque devenu mainstream par la vertu de quelques albums ; ma moman aime, les Inrocks aussi. Ca parle de soi.

Et O’Rourke continue à
faire feu de tout bois : en un mois d’intervalle, sortent un album d’impros
expérimentales (pléonasme ?) et ce petit frère d’Eureka, le joliment nommé
Insignificance (apres Bad Timing et Eureka, toujours selon une suite de
titres de films de Nicholas Roeg. Vous le saviez deja, vous l’avez lu
partout, je sais, mais pour dire que Nicholas Roeg est un cinéaste qu’on
aime bien).

A l’image d’une discographie pléthorique à foutre la migraine,
le bonhomme est insaisissable, nerd surdoué bigleux il y a encore quelque
temps, Garcimore azimuté accompagnant Sonic Youth sur leur tournée "Goodbye
20th Century" ou posant récemment en gros lapin rose en couverture de Wire.
Le tout en continuant à défourrailler des disques de musiques assez obscures
de musique électro-acoustique avec le gratin avant-garde (dont le gros
défaut est généralement de ne s’adresser qu’aux musiciens
électro-acoustiques ou aux journalistes de Wire ) , en se relocalisant à
New York (gare aux avions, quand même, Jim) comme son ex-compère de Gastr
Del Sol
, David Grubbs, et en prenant bien le soin de taper sur à peu près
tout le monde aux travers d’interviews ou pointent un ego pas mal démesuré
et une personnalité arrogante et mégalo. Et pour en rajouter, devient
quasi-officiellement le 5e membre de Sonic Youth, adoubé au panthéon
avant-garde rock. Gasp. Voilà ce qu’on appelle de l’hyperactivité.

Et le bonhomme a encore le don de surprendre, comme Eureka (souvenez-vous :
ses sucreries à la Burt Bacharach se pacsant avec Brian Wilson (pour les
arrangements maniaques ultra-léchés) sur fond de musique concrète, spectrale
et de Talk Talk ( vous ne me croyez pas ? écoutez "Laughing Stock"), surprenaient
les intégristes de la dissonance pas habitués à autant de délicatesse dans
des trucs comme Brise-Glace (tout ce name-dropping ne fait-il pas trop
Inrocks, non ?).

Insignificance poursuit dans cette veine mainstream –
c’est assez généralement " on prend les mêmes et on recommence" : même
pochette avant-garde naive kitsch japonaise aux couleurs acidulées, cette
fois atrocement camp, line-up identique (Jeff Tweedy de Wilco, Ken
Vandermark, Rob Mazurek de Chicago Underground Duo, Darin Gray, des
regrettes Dazzling Killmen (on ne dira jamais assez combien on regrette ces
furieux-là , c’était un très grand groupe de musique vraiment en colère).
Sauf qu’au lieu de faire son sort a l’easy-listening, Jim O’Rourke a ouvert
cette fois son encyclopédie rock à la rubrique « années 70 » et dans un grand
numéro de vrai bon mauvais goût , fait partouzer Elton John, Roxy Music, du
heavy, du glam et de la country. Le tout, évidemment, à la moulinette
post-moderne maline. Du gros bon rock mais qui ne pue pas sous les bras, en
sorte.

Tout ça paraît plus basique qu’Eureka, les arrangements sont plus
dépouillés, mais comporte son petit lot de coups tordus, faux arrêts, faux
débuts, et une fin qui fera froncer les sourcils de vos contemporains qui
jusque-la vous avaient presque pardonné d’avoir mis de la musique, et se
ruent sur la machine à laver pour voir si elle marche bien. Ah ah ah. Que
d’espièglerie.

Après, cher lecteur, on peut faire un concours de celui qui trouvera la
référence la plus improbable et l’envoyer aux Inrocks, moi je propose du
Michel Polnareff reprenant Creedence Clearwater Revival. L’homme se permet
même une incursion (volontaire ?) en territoire eighties avec ce "Get a
Room" ressemblant furieusement à "What I Am" d’Eddie Brickell - pour ceux
qui sont assez vieux pour s’en souvenir (et on peut vivre sans, croyez-moi).
Le talent du bonhomme consistant à foutre ensuite un coup de xylophone et à
transformer ça en ballade rêveuse sous Lexomil, et débiter quelques
sarcasmes sur les inconvénients de devoir partager sa couche.

Car cette petite perle baroque, avec ses merveilles mélodiques, est
également un album qu’on doit renoncer à qualifier de méchant tellement le
bonhomme semble prendre un plaisir manifeste à être odieux envers quiconque
a partagé son intimité. Bilieux, tiens, ça serait un bon qualificatif.

Quelques perles, pour la route :

"those holes in you face could be used
better ways"
, ou "Listening at you reminds me motors’ endless drones/and
how the dead are so damn lucky"
. A ressortir au moment opportun, celles-là,
au lieu de casser bêtement la vaisselle. Bref, un peu comme si le cuistot
vous faisait un de ces plats somme toute classiques, style un bête
pot-au-feu, et vous y glissait quelques petits piments bien vicieux. Et moi
il faut que j’arrête avec les métaphores débiles, ça doit être la faim. Enfin
, le bonhomme est mal luné et on imagine maintenant mieux à quoi peut
ressembler une soirée entre O’Rourke et son compère en misanthropie Bill
Callahan de Smog. Et dire qu’on les croyait pas très drôles.
Evidemment, il n’y a aucune surprise à chanter les louanges de l’album, ce
que je suis loin d’être le premier et le dernier à faire avec ma petite voix
fluette. Ca fait un peu consensus balladurien, c’est assez énervant, cet
Insignificance qui, avec la grâce d’un pachyderme, réussit un numéro
d’équilibriste, entre foutage de gueule post-moderne, exercice savant,
disque d’humeur (méchante), et sert ça avec une vraie-fausse bonhommie de
vrai cynique. O’Rourke fait dans la musique farce et attrape, genre bonbon
au poivre. Un gentil disque suffisament mal intentionné pour passer les fêtes
de Noël et ricaner intérieurement quand l’onc’ Marcel vous sort qu’enfin
vous écoutez quelque chose qui ressemble à de la musique (évidemment, le gros
con ne peut pas s’empêcher de trouver que les "oooh oooh" derrière, ça fait
un peu pédé"). Subversif à sa facon, Insignificance est un peu tout ce
que vous voulez : un disque de variétoche caractérielle, ou de
l’expérimentalisme accessible. Et ca se fredonne autant que certains trucs
d’impro pouvaient à la longue vous casser autre chose que les oreilles. En
tout cas, meme si vous l’avez lu dans les Inrocks, si on vous dit que ce
gars est un génie, ne haussez pas les épaules : c’est peut-être le mot
exact.