Solidarité avec les travailleurs en lutte

Occupations d’usines au Royaume-Uni

, par Nico Melanine

Depuis mercredi 1er avril, les ouvriers de l’usine Ford-Visteon occupent leurs usines à Belfast en Irlande du Nord et à Enfield dans le nord de Londres pour protester contre un licenciement aussi massif que soudain. Ils entendent faire respecter les termes de leurs contrats et comptent bien continuer l’occupation jusqu’à ce qu’ils aient obtenu satisfaction et justice.

La veille, les quelques 600 employés des usines Ford-Visteon, répartis sur les trois sites de Belfast, Basildon et Enfield ont appris lors d’une réunion qui a duré moins de 6 minutes qu’ils étaient tous licenciés, sans indemnité, qu’ils devaient quitter les lieux. La raison : la compagnie Visteon, qui fabrique des composants pour voitures et sous-traite principalement pour Ford, est en faillite et cesse toute activité sur le sol anglais. La plupart des ouvriers travaillaient dans leur usine depuis plus de 20 ans, certains atteignant même 40 ans d’ancienneté. Leur dernière semaine de salaire n’a pas été payée, et puisque Visteon est en faillite, ils ne toucheront aucune indemnité de licenciement. Pourtant, la plupart des contrats a été signée avec Ford, et pour ceux arrivés après 2000, date à laquelle Ford a crée et délégué une partie de son travail à la société de sous-traitance Visteon, des contrats ‘miroirs’ avaient été signés, qui comprenaient les mêmes termes que n’importe quel autre contrat Ford.

Derrière les complexités de la sous-traitance facilitées par la mondialisation et le règne du capitalisme sauvage, il y a ces ouvriers, qui du jour au lendemain se retrouvent sans travail et dans de réelles difficultés financières, avec des familles à nourrir ou des emprunts à rembourser sous peine par exemple de se faire expulser de chez eux [1]. Après des années de services, ils se voient refuser tous droits et toute indemnité par la multinationale Ford. La compagnie Visteon se dédouane également de toute responsabilité, et selon certaines informations aurait déclaré sa filiale du Royaume-Uni en faillite afin de préserver une partie de son capital pour pouvoir l’injecter dans sa filiale américaine, elle aussi en déclin, ceci donc au détriment des travailleurs de leurs usines anglaises.

Le timing de l’annonce était sans doute choisi. En annonçant la fermeture et les licenciements à la veille du G20, il était à peu près certains qu’aucun media ne relèverait l’affaire. Pari gagné pour les dirigeants de Visteon, mais il semble qu’ils auraient pu se passer de cette précaution. Les médias anglais étaient sur le front en février dernier quand il s’agissait de rendre compte des grèves sauvages soi-disant racistes qui ont frappé le nord de l’Angleterre, mais maintenant qu’il s’agit de défendre les droits des travailleurs face aux injustices et aux manigances des multinationales, dans l’ensemble le silence règne.

Les dirigeants de Visteon ont d’autant plus tout loisir de s’adonner à leurs pratiques douteuses. A plusieurs reprises déjà, ils ont tenté de déloger les travailleurs de l’usine en envoyant des huissiers avec un ordre d’expulsion, dans le but de reprendre possession des lieux mais surtout de récupérer les machines qui sont toujours à l’intérieur, ce qui est un atout considérable pour les travailleurs dans leur négociation. A chaque fois l’ordre d’expulsion n’avait pas de valeur légale (pas la bonne adresse par exemple), et les ouvriers, bien renseignés sur ce coup, ont renvoyés tout ce beau monde corriger sa copie. Les ouvriers ont d’ailleurs déclaré l’occupation sous la section 6, utilisée par tous les squatteurs, qui garantit légalement l’occupation des lieux.
Dans le but de faire pression sur le mouvement et de le déstabiliser, un des représentants syndicaux de l’usine a été poursuivi en justice pour le rôle qu’il a joué dans l’occupation des lieux. Il est maintenant sorti de la cour de justice et les poursuites contre lui ont été abandonnées.

Mais malgré ces intimidations la détermination des travailleurs est toujours solide. Ils bénéficient entre autres d’un soutien important de la population locale, de militants politiques et de sympathisants divers. Très rapidement, un réseau de solidarité s’est organisé pour leur apporter un soutien tant moral que matériel. De la nourriture, des sacs de couchage ou des vêtements ont été apportés, et les travailleurs ont maintenant accès à internet et une imprimante pour pouvoir assurer leur propre communication. De l’argent est récolté, un soutien légal minimum leur est donné, et plusieurs manifestations ou rassemblement ont déjà eu lieu aux abords de l’usine.

Il est clair pour tous que les actions de ces ouvriers s’inscrivent dans une lutte continue contre un système d’exploitation généralisé qui s’applique toujours au profit du capital, et toujours au détriment des travailleurs. Face à la crise, elles montrent la voie vers une radicalisation, nécessaire, de la résistance. S’il y a déjà eu des grèves dans ces usines, c’est la première fois que les ouvriers, qui n’ont plus rien à perdre, participent à une occupation. Ce geste collectif est d’autant plus courageux qu’il est rare. Ces occupations seraient parmi les premières depuis les années 70 en Angleterre. Face à l’individualisme et à l’acceptation passive et généralisée du quotidien, ce geste représente une tentative de réappropriation de ses moyens de subsistance, et un début de prise de contrôle de la gestion de sa vie.

Les acharnés du contrôle ouvrier et autres conseillistes pourront penser qu’on est bien loin d’un idéal d’autogestion. Certes. Il n’en reste pas moins qu’il convient de soutenir cette occupation, qui sera difficile à tenir face à une éventuelle manœuvre d’expulsion de la police, face aux menaces et initimidations des dirigeants de Visteon, ou encore face aux potentielles trahisons des représentants syndicaux. Dans le contexte actuel elle reste définitivement un geste audacieux. En effet, les ouvriers ne demandent pas seulement leurs indemnités de licenciement mais aussi de conserver leurs emplois en étant reclassés dans une usine Ford à proximité, celle de Dagenham par exemple, et il a été question d’élaborer un plan qui permettrait aux travailleurs d’utiliser leurs compétences dans la confection de produits réalisés à des fins écologiques, la demande pour ceux-ci étant en augmentation constante. En outre, l’occupation a des implications plus larges. Alors que la récession a pour conséquence une augmentation du chômage et une multiplication des plans sociaux, la solidarité des travailleurs de Ford-Visteon, et ce notamment si leur combat aboutit, est source d’inspiration pour tous ceux qui sont dans une situation similaire, et constitue un message clair pour les patrons qu’ils ne pourront pas traiter les travailleurs ainsi en toute impunité.

A l’extérieur de l’usine, le soutien s’impose d’autant plus qu’il est un complément nécessaire aux récentes manifestations anti-g20. Cette solidarité directe, concrète et pratique, peut sembler contraster avec l’agitation militante spectaculaire de la manifestation du mercredi 1er avril, mais les deux actions font bien partie de la même logique. Cette logique de résistance aux attaques du système capitaliste, qui est faite de détermination face à l’injustice et à l’exploitation et qui tente tant bien que mal de reprendre le contrôle, de “prendre possession”, pour employer les mots de Louise Michel.


Mise à jour - 10 avril : Après plus d’une semaine d’occupation, face à des menaces de poursuites judiciaires et d’emprisonnement, et sur les conseils ’avisés’ de leur syndicat, les ouvriers sont maintenant sortis de l’usine et ont cessé l’occupation. La lutte se poursuit néanmoins avec un piquet assuré devant l’usine 24h/24 pour empêcher que Visteon ne récupère les machines. L’occupation continue à Belfast.

Mise à jour - 10 avril : Après plus d’une semaine d’occupation, face à des menaces de poursuites judiciaires et d’emprisonnement, et sur les conseils ’avisés’ de leur syndicat, les ouvriers du site d’Enfield sont sortis de l’usine et ont cessé l’occupation. La lutte se poursuit néanmoins avec un piquet assuré devant l’usine 24h/24 pour empêcher que Visteon récupère les machines. Des négociations auront lieu mardi.
L’occupation continue à Belfast.

Pour plus d’informations (photos, vidéos...), visitez le blog de l’occupation (en Anglais) :
http://www.visteonoccupation.org/

Envoyez vos messages de soutien aux travailleurs dans l’usine !
visteon_support@haringey.org.uk

Notes

[1Avec la crise en Angleterre, le nombre de personnes qui se sont faites expulser est passé de 25 000 par an (2007) à 40 000 par an (2008) et la prévision pour 2009 est de plus de 75 000.