Des communautés et des religions aux pays des droits de l’homme

Tombons le voile

, par Alfred

Un voile sombre couvre le soleil au-dessus de la France éternelle. Laissez-le se poser, et ca va séverement dériver communautaire. La jeune musulmane de 15 ans incarne-t-elle une menace terrible pour la République ? Va-t-on lever le voile sur l’hypocrisie intéegrationniste ou sombrer, terreur, dans le COMMUNAUTARISME A L’AMERICAINE !!?!

Le spectre du communautarisme anglo-saxon planerait-il au dessus de la France ?

Pas toujours évident, depuis la côte Est de l’Atlantique, de savoir ce qui se passe en France. J’entends dire que la grande croisade laïque contre le port du voile a recommencé, on écrit des pétitions, les hussards noirs de la république lançaient déjà des grèves éthiques contre le foulard rose fluo d’une étudiante de quinze ans, aux alentours de Lyon, cette fois on ne nous la fera pas, le Mal est en elle, l’exorcisme républicain a été remis en branle, St Jules Ferry et petit père Combes, protégez-nous des mécréants.

Dans Grosse Fatigue, l’appel se faisait poignant. On aura été prévenus ; reculer sur cette affaire, galvauder le beau système éducatif laïque, francais, républicain, tout le monde est d’accord, c’est reculer devant la dérive communautariste ("à l’américaine", ajoute-t-on souvent pour bonne mesure, et puis ca clôt le debat, ça). C’est la défaite de l’intégrationnisme français, c’est les ricains qui redébarquent. Non non non, ça n’a rien à voir avec un certain sentiment anti-musulman. De droite à gauche, de gauche à droite, on se prend la main et en rythme deux, trois : "c’est que nous on tient à la laïcité, on aurait trop honte de l’abandonner, c’est l’héritage de nos parents, ma pomme, c’est qu’ici on est au pays des droits de l’homme."

Qu’entend-on exactement par ce communautarisme anglo-saxon ? C’est bien évidemment le spectre de la mosaique américaine, de cette nation fractionnée en micro-nations [1], des intérets particuliers en incessantes alliances et oppositions, un gros bordel. On cherche le vote noir, le vote chicano, les femmes, un pays tout en couches, où l’on est toujours quelque chose avant d’être américain. Le communautarisme anglo-saxon a d’abord quelque chose de télévisuel, tout en statistiques et en pourcentages, une face noire pour tel pourcentage de la population totale, une face hispanique, idem au gouvernement, voilà tout le monde est là, comme si la reproduction fractale de la situation démographique conferait de la crédibilité. Bush est une pourriture mais il y a des Noirs dans son cabinet, alors. Avec le temps, tout le monde a appris à en jouer, ce n’est qu’une donnée politique de plus dans la chasse aux voix. La carte raciale est usée à force d’être jouée, par les uns (la campagne de papa Bush en 1988 [2])et les autres (voir la dernière sortie en date du pathétique Jesse Jackson [3] Mais l’idée de ce système appliqué à la France n’effraie pas que pour ses dérives, bien au contraire.

Le cliché se base sur des observations réelles ; quand ça craint au niveau des relations intercommunautaires, ici, en général on fout le feu à Los Angeles. Ce que le cliché garde en dehors du cadre, cependant, est un attrait du communautarisme anglo-saxon rarement évoqué : il semble offrir des protections légales pour les communautés, religieuses, ethniques. Ce qu’elles ont d’influence et d’efficacité est une autre histoire, mais les faits sont là : le système communautariste reconnait idéalement une place à tous, une voix à tous, un système statistique qui noie facilement ces voix, certes, mais tout en les reconnaissant. Le risque que semble y voir l’ami grosse fatigue, c’est que la mosaique des intérets et revendications communautaires ne finisse par menacer l’intéret général, celui de la France apparemment. Un souci légitime. Les bâtards de la France coloniale risqueraient de l’ouvrir un peu trop. On a beau dire, les enfants, on a beau présenter l’affaire uniquement comme un combat féministe et laïque, il y a des relents qui ne trompent pas. N’as-tu donc rien dans la tête, petite enfant de l’Orient ? Ne veux-tu donc point être libre ? Va au coin et réfléchis un peu et reviens nous voir quand tu auras un peu de bon sens.

La fille ainée de l’Eglise

- A.Tous les francais vont a l’école laïque, obligatoire
- B.Les Alsaciens-Mosellans sont francais
- C.Donc les Alsaciens-Mosellans vont à l’école laïque obligatoire.

Ah. Damnée logique. Bien sûr que non.
La Madeleine de Commercy que je goûte ici me rappelle ma douce enfance lorraine, ces après-midis tout en torpeur où un ou deux de nos camarades disparaissaient dans l’arrière-salle (ils ont une dispense de leurs parents...) alors que le maître laissait les planches au curé, fonctionnaire d’état chargé de nous enseigner le Christ. Dispense obligatoire jusqu’en terminale, s’il vous plaît. Des fois que la lumière nous apparaisse en chemin.

Vous me direz cette damnée exception, elle fait grincer des dents aussi, hein, faut pas croire. Mais on n’y peut rien, tandis que cette gamine, là, on peut la virer du bahut.

Peut-être est-ce la Lorraine qui m’a ramolli la laïcité. Habitué à une telle débauche de signes ostentatoires et de prosélytisme, je suis devenu un cochon spiritualiste. En vrai, je me fous de l’islam comme de ma première hostie, mais je me pose la question : les professeurs en grève pour l’expulsion d’une jeune fille de quinze ans pour port du voile pensent-ils réellement faire avancer la cause par cette action ? Si l’école laïque et républicaine ne se charge pas de l’éducation laïque et républicaine de cette enfant perdue, qui donc le fera ? La France ne laisserait quand même pas ses enfants égarés aux mains des barbus, non, hein, quand même ?

Le port du voile serait-il une incitation aux coups de trique ? Est-ce qu’elles ne le feraient pas un peu exprès, histoire de tester la volonté de Marianne, ces petites connes ?

On a laissé passer St Nicolas du Chardonnet, mais que menace la terrible affaire des voiles ? L’intégrité de la France ? A-t-on peur d’une grande vague de conversion a l’Islam, la contagion mahométane, que risque-t-on de si terrible qu’on en sacrifie l’enseignement en son nom même ?

C’est le refus de l’intégration qu’on condamne, entends-je, ça se passe comme ça chez nous, c’est pas les USA non mais oh, ici la religion on n’en veut pas.
Difficile de constater le mensonge sans voir les deux poids et les deux mesures : la France est bel et bien un pays judéo-chretien, donc.

Judéo-chrétien et ensuite le pays des Lumières, vous voyez, celles qui aveuglent au point de faire disparaitre leurs propres contradictions, leurs points d’ombre, qu’on en évite de mentionner la lourdeur des poids utilisés pour mesurer la valeur des anciennes colonies et des autochtones, des boulets qu’ils trainent encore à leurs pieds. Le rapport ? On y reviendra.

Son excentrique cousine

La laïcité chez notre cousine américaine, c’est laisser tout le monde faire comme ça les amuse chez eux, dans le noir ou au soleil, où ils veulent, le montrer n’est pas gênant tant qu’il n’y a pas essai de conversion (et éventuellement drop). Les jours de fête religieuse, quelles qu’elle soient, pas d’école. On demande juste de ne pas prêcher. C’est plus ou moins bien appliqué, cette affaire. Mais il faut dire qu’ils seraient mal placés pour la ramener, les petits, les pères fondateurs ont inscrit ça noir sur blanc dans la vraie bible americaine, la constitution, et la liberté de culte, ici, c’est sacré.

Alors bien sur, ça n’empêche pas les guerres contre les multiples sectes qui fleurissent sur le territoire, que ce soit les Mormons ou plus récemment les Branch Davidians de Waco, Texas. Mais bon an mal an, bon gré mal gré, l’idée c’est qu’aussi barré que tu es, tant que tu n’enfreins pas la loi, tu peux même vouer un culte aux bouteilles si c’est ce qui te branche (davidian, donc. Désolé).

L’application peut être aléatoire et porte à interprétation, comme toute bonne parole qui se respecte. Récemment une cour de justice americaine a décidé que réciter le serment d’allégeance a l’école était anticonstitutionnel. Grands cris des conservateurs. Ici tout peut se régler devant les tribunaux. Toute loi doit respecter les tables de la loi. Ici aussi, les fondations sont clairement chrétiennes. La Bible est aussi le premier livre de la littérature et de la loi américaines. On aime à le citer. On aime à y trouver des images. On n’y met cependant pas forcément autant de sens qu’une Boutin.

C’est qu’on parle de subtilités tout en profondeur, là, attention. Quand nos amis ricains exposent leurs différences pour mieux les éviter, ici chez nous le style est plutôt de les ignorer pour mieux les critiquer. Bien sûr y a du racisme en France, mais ici au moins c’est interdit. C’est dans notre histoire, ça, de tous temps la France a toujours plus assuré que les anglo-saxons au niveau respect des autres. Ah, ce collègue d’interim qui m’expliquait doctement que oui, la colonisation, ça craignait, mais au moins on n’a pas fait comme les Anglais, on leur a amené le train, nous. Que les bons français laiques s’insurgent pour défendre leur République, quoi de plus normal ? Après tout, c’est bien pour eux qu’elle a été faite. Notre bon Voltaire, père spirituel, était bien trop occupé à définir la liberté pour pouvoir l’étendre aux sous-races. N’y voyez pas de mal, c’est comme ça, c’est l’Histoire, hein. Une fois qu’on a bien mérité de la patrie eh ben on n’est ni noirs ni blancs ni bruns ni rouges, on est tous français. Et du coup il n’y a plus de problème. Qu’est-ce qui leur prend à dériver communautaire comme ça ?

C’est pourtant simple : ce que propose aussi le communautarisme, le cauchemar de Marianne, au-delà du démantèlement de notre indivisible nation, c’est aussi la confrontation des Lumières à leurs mensonges. L’exemple doré de l’action communautaire est sûrement la manière dont la communauté juive a forcé le monde à mettre le nez dans sa merde antisémite. Il a bien fallu prendre les choses en main. Ca ne s’est fait ni tout seul, ni sans peine. C’est souvent l’espoir de pouvoir exprimer des griefs en ses propres termes que l’on distingue dans la "dérive communautariste".

Voile et invisibilité

Je n’ai aucune idée de ce que peut représenter le voile pour une jeune musulmane de 15 ans en l’an 2004. Une chose est claire, cependant, c’est que le voile peut agir come un révélateur, aussi étymologiquement incroyable cela puisse paraitre. D’un coup, du bout des lèvres, on est bien obligé d’évoquer certaines origines. Certains "français". Ceux d’obédience musulmane. Qui viennent d’où vous savez…J’aime à croire que le voile peut être l’équivalent vestimentaire d’un crachat à la gueule. C’est pas vraiment excusable même si c’est pas vraiment grand chose, mais symboliquement c’est plutôt clair et en général, quand on en prend un, on ne fait pas semblant de ne pas l’avoir vu. Pan dans l’oeil. Et maintenant que vous avez mon attention…

Maintenant quoi ? Maintenant on ne va pas faire comme si il ne s’agissait que d’un crachat j’espère. Dans la grande tradition de compréhension et de respect des peuples qui est la notre, on va aller voir derrière ce qui a bien pu motiver un acte si misérable, non ? L’homme invisible de Ralph Ellison était dissimulé aux yeux du monde par la couleur de sa peau ; noir dans l’Amérique ségrégationniste des années 40, il passe par les universités noires du Sud, les petits boulots minables des billes du Nord, les tentatives d’infiltration des stalinistes du PCUS pour finir reclus dans les sous-sols de New York, suite à une émeute raciale. C’est dans l’épilogue qu’il nous annonce cependant que le temps de l’hibernation est terminé. Il va sortir et on va le voir. Il va essayer de nous dire ce qui se passait réellement lorsque l’on regardait à travers lui.

Toujours plus fort, toujours plus haut, chez nous en France on a droit à un phénomène similaire, mais doublement surnaturel : c’est apparemment en mettant un voile que les jeunes musulmanes nous apparaissent. Et, mais c’est incroyable, il y en plein partout, elles appariassent dans tous les coins, il faut faire quelque chose ! Balayons-les dans le caniveau. Bon. Etonnons-nous en coeur de la montée du communautarisme.

Qui d’autre que nous-même peut bien nous représenter ? Dans un pays qui a élevé les anniversaires historiques au rang d’art mineur (à chaque année son auteur, Hugo, Dumas, mettons-y un peu de Napoléon tant qu’on y est), qui aura évoqué le 150ème anniversaire de l’abolition de l’esclavage en France en 1998 ? Qui aura parlé du bicentenaire de l’expédition de Napoléon sur la Guadeloupe et Haïti en 2002 ? Robert Hossein ? Deux trois douzaines d’Antillais assis dans des caves et ou des petits théatres remplis d’autres Antillais. Alors que Papon, ministre de la République, se dore la couenne en profitant d’une retraite bien méritée, se contentera-t-on de quelques documentaires et de plaques tronquées pour reconnaître le massacre du 17 octobre 1961 ? Tu mélanges tout, me direz-vous. Ben ouais, c’est aussi ça la France, non, plein de douleurs et de blessures venues des quatres coins de l’Empire.

On est tous Francais des Lumières et tout et tout, mais on n’est pas tous arrivés au bout du tunnel de la même manière hein. Ouvrir sa gueule, c’est l’application des principes de notre démocratie, non ?

La patrie en danger

Que représente le voile pour une jeune fille de 15 ans ? Elle s’est fait bourrer le crâne par sa famille et par les intégristes musulmans, c’est obligé. Et moi de me demander à quel point l’hypocrisie républicaine est-elle utilisée par l’infernale cohorte des adorateurs d’Allah pour le lavage de cerveau de leur progéniture. Quand les Lumières s’éteignent, où vont se réfugier les enfants perdus de la République ? Si t’es dans le ruisseau, ma petite, c’est la faute à Rousseau, eh ouais. Lis-le un peu et reviens nous voir quand tu seras digne de ce pays. Renseigne-toi. C’est la France ici. Pas de communautés chez nous. On est tous francais et puis c’est tout.

Les deux pays de la liberté, la France et les Etats-Unis, se partagent bien le boulot. La grande compétition est à son plus subtil en ce qui concerne les "relations raciales". A la France les perles culturelles noires americaines, c’est ici qu’on comprend le mieux ce que l’Amérique a de meilleur, voyez-vous, qu’on les laisse s’exprimer, ici Cab Calloway entre par la porte de devant, monsieur.
Nos nègres des Antilles, quant à eux, deviennent professeurs dans les grandes universités américaines.
C’est peut-etre que voyez-vous, pour certains, une petite tribune c’est mieux que pas de tribune du tout. Nul n’est prophète en son pays, qu’ils disent. Let my people go, tout ça.

Enfin voilà. Où veux-je donc exactement en venir ? Pour une loi, contre une loi ? Pour les jours fériés ? Pour ou contre le voile ? Contre toutes les religions, je suis, éradiquons-les toutes. Fermons les églises, les mosquées, les synagogues. Pas sérieux ? Non, pas trop. On a essayé avant, ca marche pas trop bien. Oui, je pense que le port du voile est un acte politique, que ce soit le but avoué ou non. Je ne pense cependant pas que ce soit exclusivement un coup politique d’intégristes religieux. Si on veut tomber les voiles comme il faut, il va falloir aller chercher un peu plus loin que le Coran, peut-être même mettre le nez dans notre propre merde, se creuser la mémoire et le présent pour se demander exactement ce qui pousse les enfants indignes de la République à lui cracher à la gueule.
Être le pays des droits de l’homme etc., ça implique un certain standing, ça ne consiste pas juste à savoir exactement tout ce qu’on fait de mieux que les USA.

Mais si, c’est possible.

Notes

[1voir Soul Coughing sur la question

[2Le spot dit "Willie Horton", évoquait le criminel du meme nom, condamné à perpétuité dans l’état gouverné par le candidat démocrate Michael Dukakis. Libéré dans le cadre d’un programme de réinsertion, Horton en avait profité pour commettre de nouveaux meurtres. De là à dire que Dukakis cherchait à mettre les nègres dans la rue pour qu’ils violent nos femmes, il n’y avait qu’un pas, allègrement franchi par Bush.

[3Le bon révérend, en honnete politique chicagoan (je le précise des fois qu’il y ait besoin, par ici c’est un oxymoron de bon aloi), a récemment rappelé au maire Dailey (lui aussi fils de son père), que dans le coin il fallait compter avec Jesse, sans quoi il t’attaque ta race. Le préfet de police de la ville (noir) partant à la retraite, il n’y avait pour succéder à son poste que trois candidats (blancs). Si ca c’est pas du racisme, s’exclame Jesse, j’exige qu’on présente un candidat noir, parce que la police c’est des enculés déja comme ca alors si en plus le préfet n’est pas noir, ou va-t-on. Des mois plus tard, la polémique passée, Dailey lui dit bonjour dans la rue. Non mais oh.