Visiteur Cul

, par Jerome

L’équivalent filmique des prouesses vocales de Yamatsuka Eye, agression contre le bon goût mâtinée de comique anal nécrophile ? Bien sûr, ça vous intéresse. Allez, va, ça nous intéresse aussi...

Donc, continuons notre exploration des objets bizarres avec ce Visitor Q le truc le plus barge vu depuis des lustres. Bizarre ne veut pas dire bon, mais gageons qui celui-là deviendra une sorte de film (cul) culte dans des congrégations d’amoureux de trucs extrêmes genre l’Etrange Festival, si ce n’est déjà fait. Un équivalent filmique des cris de dindon électrocuté de Yamatsuka Eye, qui dérange, agace, amuse, ne sert strictement à rien, mais ça défoule et pose un énorme problème à la notion de bon goût. Donc, question pedigree, le Takashi Miike responsable du film en question est vaguement connu pour avoir commis The Audition qui a gagné un culte dans ce pays de tordus qu’est la Grande-Bretagne, auprès de shockers comme Tokyo Fist ou Ring 1 & 2 (ces derniers franchement surcôtés (et adapté par Dreamworks pour le marché ricain-NDLR)) - ça vient du Japon, qui est une île, comme le pays des Fiers Sujets de Sa Majesté Elizabeth II.

Dans The Audition, il était question d’un producteur de télé veuf et esseulé qui montait une audition bidon pour trouver une minette, s’en dégote effectivement une très mignonne, mais voilà, la charmante en question se révèle être en rogne contre la gent masculine et a un goût pour l’acupuncture sauvage et les amputations sans anesthésie. Franchement pas de quoi fouetter un chat, on conseillera aux plus excités d’aller se calmer en essayant de se taper le Martin de George Romero (1975 !), sans doute un des films les plus déplaisants à voir jamais faits (et en plus c’est un très bon film, féministe, working class et tout et tout, mais pour le coup c’est du vraiment noir, glauque et malsain, un truc d’une tristesse abyssale).

Mais bon, pour ceux qui aiment ce genre d’objets de culte, Visitor Q fera l’effet d’une petite sensation, d’une catharsis sur le mode « famille je vous hais ». Sur le thème très à la mode de la famille dysfonctionnelle (de Six Feet Under à l’insupportable The Royal Tennenbaum), celui-là pousse les limites avec une franchise assez radicale et on rigole intérieurement à l’idée qu’un film aussi dérangé et d’aussi mauvais goût ait pu être montré à la dernière Mostra de Venise. Pour faire dans le raccourci, imaginons Théorème rencontrant ,C’est Arrivé Près de Chez Vous (aïe) sous wasabi.

Donc : papa se tape fifille (qui est un peu pute, accessoirement), pendant que fifils tabasse maman qui est aussi héroïnomane, et que fifils est harcelé par ses camarades d’école.
Dans le genre extrémiste, le début du film fait grincer des dents, avec un long plan séquence détaillant graphiquement une partie de jambes en l’air entre père et fille (qui monnaye ses services, au passage) dans un de ces motels où les écolières japonaises travaillent à gagner de quoi s’acheter des portables plus perfectionnés. Et fifille d’éjecter sans ménagement son éjaculateur précoce de père qui ne l’a pas fait jouir. L’exposé de la petite économie du ménage pousse le malaise assez loin, c’est franchement beurk, et on se demande au bout de trois quarts d’heures jusqu’où Mike va pousser le bouchon, ou s’il a envie que le public aille dégobiller avant la fin du film. Sick, comme on dit ici.

Puis le visiteur du titre arrive, pas sous les traits de Terence Stamp mais sous ceux d’un rockeur indé avec une tête d’ahuri complet, assène des gros coups de caillou au papa déjà pas mal déboussolé et s’invite dans la famille. S’ensuivent : un viol, une sodomie sur un cadavre, une scène de scatologie subséquente, et un massacre au coupe chou dans l’allégresse la plus totale. Il y a plus subtil évidemment, mais question enfoncer des tabous, ça renvoie Gaspard Noë à ce qu’il est, c’est-à-dire un gros branleur.

L’initiative plutôt maline que de montrer Visitor Q avant Théorème de Pasolini de la part des gens du Horse Hospital, petite salle classe à côté du British Museum : on maximalise les parti-pris,à savoir l’intrusion d’un étranger comme agent réactif dans la chimie des névroses familiales. Sauf que là où l’éphèbe rimbaldien révèle chaque membre d’une famille grande-bourgeoise à lui-même, notre visiteur échappé des Acid Mother Temple se contente d’être le témoin d’une dinguerie qui se généralise. C’est là la grande limite du film de Miike, qui semble avoir du mal à le maintenir à plein régime, et n’arrive pas à rester au niveau des enjeux du très dérangeant début. Visitor Q vire alors dans la grand guignol, d’une certaine manière au soulagement du spectateur qui ne peut que relâcher sa tension devant ce qui devient une bouffonnerie grasse et allumée. Plus près du Jan Kounen de Vibroboy ou de C’est arrivé près de chez vous, genre type qui encule un cadavre et reste coincé (Ah ah), ou le visiteur mystérieux qui fait découvrir l’orgasme à la mère en réussissant à faire jaillir l’équivalent d’une laiterie bretonne de ses mamelons (Re Ah ah). On est un peu coupable d’avoir ri devant ça mais apparemment c’était collectif ce soir-là - et croyez votre serviteur, ça frisait l’hystérie.
Reste donc un bel avenir dans cette catégorie fourre-tout et un peu douteuse des films cultes pour Visitor Q, pour amateurs de cinéma extrême.

Un peu dommage, car le dispositif du film est particulièrement prometteur, largement axé sur la fascination d’une société par l’image, où filmer tient lieu de communication mais ne véhicule aucun affect : la fille filme son père en train de la baiser comme on fait un film de vacances, le père est (encore) un producteur de reality TV raté dont l’idée pour se refaire est de filmer son fils humilié par ses contemporains (phénomène visiblement fréquent au Japon, et suicidogène, apparemment rien qu’avoir un portable ringard suffit de faire de vous la risée de la classe), et le Visitor Q n’intervient que pour filmer le dérapage de la famille dans la pure démence. Les personnages agissent véritablement comme dans un cartoon, le jeux des acteurs (notamment le père) bascule dans l’hystérie, le film semblant contaminé par ces Vidéo Gags japonais où les gens n’hésitent pas à faire tomber leurs gamins pour faire rire leurs pairs.

Visitor Q est un film schizophrène, double, où le documentaire voyeur et dérangeant se laisse contaminer par la bêtise télévisuelle, où la rigueur étouffante du début est phagocytée par un grosse farce cathodique. L’enfant mutant de Mireille Dumas rentré en collision avec le Loft en version japonaise. C’est là qu’est, au delà de son coté extrême, l’intérêt de ce film inégal, foutraque et injugeable aux standards du bon goût : une GROSSE, KOLOSSALE satire de l’intimité a l’epoque de Big Brother, une provoc punk contre les belles âmes qui riront devant quelque chose d’a peine plus obscène que ce qui les révolte quotidiennement à la télé (comment les gens acceptent finalement de se laisser exploiter, ou comment l’image est devenue la nouvelle donnée de l’exploitation humaine). Que finalement le réalisateur abandonne le sérieux du début pour laisser son film dégénérer est rétrospectivement une idée plus maline que les comparaisons avec des films potaches belges ou français ne le laisseraient croire, et surtout l’idée de quelqu’un qui utilise son medium de façon à en faire une expérience et pas un pensum. Un peu comme Haneke qui, avec ses gros sabots de prof autrichien, mettait le nez dans le caca à la génération Réservoir Dogs, dans le mal-aimé Funny Games (autre film-expérience), Miike met de la télé-réalité dans son cinéma, à une époque où il faut tous les jours apprendre a se laisser enculer. Idiot, crade, prophétique, fun et subversif.

P.-S.

PS : Petit ajout sur Gaspard Noë. Dans une page « Portrait » de Libé, il y a quelques mois, un article sur un type masqué de cuir, réalisateur ’officiel’ qui tournerait des films X, et objet des rumeurs parisiennes. Je vous fiche mon billet que c’est notre bonhomme. Ce qui tendrait à prouver qu’en plus de faire de la daube, il serait aussi un hypocrite aux pulsions ultra violentes doublé d’un branleur beauf et macho.
Le ton complice ’happy few’ est à comparer aux articles du même journal sur des mômes impliqués dans une tournante, nettement plus déplorateur. Le porno n’aurait-il pas la même statut selon le côté du périph’ où on se trouve ?

Ce qu’il y a des pénible dans les justifications jésuitiques de ces artistes mainstream qui fricotent avec le X, comme les déballages narcissiques de Breillat, cette ’vieille pouffiasse littéromane’, comme dirait Ferré, c’est qu’il ne sont pas trop regardants sur qui ils fréquentent, et qu’il est assez moralement obscène d’entendre parler de ’libération’ ou de ’féminisme’ quand il s’agit de parler de beaufs machistes qui exploitent des gamines paumées ou qui affrètent des charters pour aller violenter des Hongroises laissées pour compte de la libéralisation de l’économie des pays de l’Est. On parle là de gens qui s’inscrivent dans une industrie où se connectent des circuits clairement douteux. Que Breillat aille subir une double pénétration anale/éjac’ faciale et qu’on en parle plus. Je ne suis pas sur que ça lui paye sa note de restaurant japonais (visiblement, une DP serait payée aux alentours de 3000 balles).

Tout cela montre, du pseudo extrémisme de Noë à l’ennui sidéral des films et des livres de la Breillat, en passant par les délires cul et approximations racistes de Houellebecq, que l’Art en France s’accommode très bien des formes d’exploitation modernes, et se fond parfaitement dans l’aconnardisation de l’ère Chirac, superproduction à taille réelle financée par TF1 et sponsorisée par Corona, avec dans le rôle du superflic une imitation teigneuse de Louis de Funès. Beau pays.