Pressions et agressions contre la presse haïtienne : Le Cycle infernal se poursuit

, par Alterpresse

"Nous traitons tous les jours de l’actualité. Nous ne pouvions pas
penser que nous serions aujourd’hui au centre de l’actualité. Une
actualité tragique." Tel est en substance un extrait d’un spot diffusé
depuis ce 16 juillet sur les ondes de la station privée Radio Caraibes,
émettant depuis Port-au-Prince. Plus de 24 heures se sont déjà écoulées
depuis que l’un des reporters et présentateurs de la station, Israel
Jacky Cantave, est porté disparu.

L’essentiel des informations recueillies par la presse indique jusqu’à
présent que le journaliste a disparu alors qu’il se rendait en voiture,
en fin de soirée du 15 juillet, à son domicile, situé dans le quartier
de Delmas, au Sud-Est de Port-au-Prince. Israel Jacky Cantave venait de
présenter la dernière édition de nouvelles de la station, "Dernière
Occasion", qui passe entre 9:00 et 10:00.

Le journaliste était accompagné d’un cousin, également porté disparu.
Des impacts de choc et des traces de sang ont été relevés sur sa
voiture, retrouvée dans la matinée du 16 juillet. Seul son téléphone
portable y était.

Radio Caraibes qui diffuse de la musique classique en lieu et place de
ses émissions régulières très prisées, demande au public de fournir tout
renseignement qui pourrait aider à retrouver Israel Jacky Cantave.
Plusieurs numéros de téléphones sont rendus disponibles à cet effet. La
radio garde l’espoir que le confrère est vivant.

La disparition de Israel Jacky Cantave représente un coup dur pour la
presse, cible depuis quelques temps de multiples pressions et actes de
violences en Haïti. Durant toute la journée du 16 juillet les
journalistes et travailleurs de presse n’ont pas cessé de défiler dans
les locaux de Radio Caraibes pour exprimer leur sympathie à l’équipe et
pour dire leur indignation.

Toutes les indications montrent très clairement qu’il s’agit d’un acte
criminel, selon le Secrétaire Général de l’Association des Journalistes
Haïtiens (AJH), Joseph Guyler C. Delva, qui déplore l’impunité dont
bénéficient les agresseurs de journalistes. Il a condamné ce nouvel acte
et rappelé que jusqu’à présent tous les dossiers judiciaires concernant
les cas d’agression contre les journalistes demeurent inachevés.

Guyler C. Delva a ainsi mis en doute les promesses faites le jour même
par la ministre de la Culture, Lila Desquiron et le Secrétaire d’état a
la Communication, Mario Dupuy, de sévir contre les auteurs de menaces et
d’actes d’agression contre la presse. Les deux responsables, ainsi que
d’autres autorités du gouvernement et de la police avaient rendu visite
aux confrères et consours de Radio Caraibes, profondément éplorés.

L’organisation internationale de défense des journalistes Reporters Sans
Frontières (RSF) a exprimé sa "très vive inquiétude" après la
disparition de Israel Jacky Cantave. Dans une lettre adressée au
président Jean-Bertrand Aristide, RSF demande l’ouverture immédiate
d’une enquête afin que les circonstances de la disparition du
journaliste soient
éclaircies.

La police informe avoir mobilisé ses unités spéciales en vue de
retrouver le journaliste disparu. Elle appelle la population et les
journalistes à ne pas ménager leur concours à la police.

Dans sa lettre au président Aristide, RSF déplore l’absence de mesures
pour protéger les journalistes menacés, malgré les promesses faites par
Jean-Bertrand Aristide le 17 décembre 2001 et note que ses "craintes de
voir de nouveaux journalistes victimes de violences, alors que les morts
de Jean Dominique et Brignol Lindor restent toujours impunies, se
confirment tragiquement".

Jean Dominique a été assassiné à Port-au-Prince dans la cour de sa
station, Radio Haïti Inter, en avril 2001. Depuis lors, l’enquête,
parsemée de scandales, se poursuit. Un nouveau juge d’instruction,
Bernard St-Vil a été récemment nommé sur le dossier, alors que l’ancien
juge d’instruction qui s’occupait de cette affaire, Claudy Gassant, a
été obligé de se réfugier aux États-Unis, à cause de multiples menaces
subies et de nombreuses embûches rencontrées dans la conduite de
l’enquête judiciaire.

Le dossier de l’assassinat en décembre 2001 de Brignol Lindor,
responsable de l’information à Radio Écho 2000 à Petit Goave, dans
l’Ouest du pays, traîne également en longueur, alors que ses assassins,
se réclamant l’organisation "Dòmi nan Bwa" (Dormir dans la forêt),
supporter du pouvoir, s’etaient publiquement identifiés.

Une quinzaine de journalistes avait du fuir le pays en décembre 2001,
suite aux représailles de partisans du pouvoir, après l’annonce par le
gouvernement d’une "tentative de coup d’État". Radio Caraibes a été, à
l’époque, parmi les principales stations ciblées.

Dans son rapport d’enquête sur les évènements du 17 décembre dernier,
rapport rendu public le 2 juillet dernier, l’Organisation des États
américains (OEA) a a conclu que "les
attaques, menaces et intimidations [contre les journalistes]" s’étaient
produites "avec la tolérance du gouvernement". Les rapporteurs ont
ajouté que "les personnes responsables de ces actes [continuaient] de
jouir de l’immunité contre les poursuites par des institutions
d’investigation et judiciaires d’Haïti". Ils ont aussi indiqué que "la
liberté d’expression, fondement de la démocratie, [avait] été
sérieusement lésée".

Le 3 mai dernier, jour mondial de la liberte de la presse, une marche de
plusieurs dizaines de journalistes avait été organisée à Port-au-Prince
par l’AJH, afin de dénoncer l’impunité qui règne en Haiti. Des
journalistes de la presse parlée, écrite, télévisée et électronique
avaient alors appelé au jugement des criminels.