Deux régions du monde sous surveillance. Deux pays. Deux situations politiques tendues. Deux traitements médiatiques et diplomatiques on ne peut plus différents. Et pourtant, cela participe du même objectif : nous préparer à assister passivement à des événements tragiques.
Iran : suite à des soupçons de fraude, le candidat vaincu conteste le résultat des élections et des manifestations pacifiques sont réprimées brutalement.
Honduras : suite à un coup d’état militaire, le président démocratiquement élu est chassé et des manifestations pacifiques sont réprimées brutalement.
Il est aisé de remarquer que la couverture de ces deux événements est inversement proportionnelle. La situation en Iran a été amplement commentée, disséquée, analysée. En revanche, pour en savoir un peu plus sur la situation au Honduras, petit pays d’Amérique centrale, il faut le vouloir vraiment. La situation a pourtant tout pour attirer les rédactions de tous les pays, les philosophes défenseurs des droits de l’homme, les organisations de défense de la liberté de la presse et consorts. Voyons un peu :
Un président démocratiquement élu, Manuel Zelaya, est chassé du pouvoir par l’armée le 28 juin dernier.
Suspension de toutes les libertés civiles par le gouvernement de facto
Fermeture des organes de presse opposés au Golpe de Estado
Menaces à l’encontre des journalistes étrangers puis expulsion du pays
Mobilisations de masse de la population, brutalement réprimées par l’armée, provoquant la mort par balle d’une jeune manifestante, Isis Obed Murillo
Déclaration de l’Organisation des Etats Américains et du secrétaire général de l’ONU demandant la réinstallation dans ses fonctions du président légitime
Condamnation du Coup d’Etat par l’Assemblée Générale des Nations Unies
Bref. Un scénario de rêve pour occuper les écrans TV non-stop, éditions spéciales, experts à la chaîne, éditos enflammés appelant au renversement d’un régime honni, sommation en bonne et dûe forme de notre Brave Président. Mais non. Rien. Ketchi. Peau d’balle.
Ça, c’est bon pour l’Iran, pilier de l’Axe du Mal. La débauche de moyens pour dénoncer une potentielle fraude électorale est sans commune mesure. Interventions diplomatiques de haut niveau condamnant le régime en place, soutien sans faille à l’opposition dans tous les médias, bien que le parcours de Mousavi, candidat perdant, soit loin d’être enthousiasmant.
Côté Honduras, rien n’apparaît sur les portails des principales chaînes d’information en continu CNN et Al-Jazeerah. Il faut aller sur le site de Telesur pour trouver un dossier spécial sur le sujet.
Mais tout d’abord, pourquoi s’intéresser au Honduras ? Le pays ne dispose pas de gigantesques gisements d’hydrocarbures ou d’uranium. C’est vrai. Le Honduras n’a que peu d’atouts, et ce ne sont certainement pas ses ressources naturelles. Mais il en a quelques uns.
Oh, pas grand chose. Juste la Base Palmerola, la plus importante base militaire US dans la région avec la Base Manta en Equateur. Il est intéressant de noter que cette dernière va fermer en novembre prochain, suite au refus du nouveau gouvernement équatorien de toute présence militaire étrangère sur son territoire. Sauf à négocier l’ouverture d’une base militaire équatorienne à Miami ! Rafael Correa ne manque pas d’humour. Et Manuel Zelaya prenait le même chemin en déclarant vouloir tout d’abord adjoindre une utilisation civile à l’aéroport militaire. Son rapprochement avec l’initiative vénézuelienne de l’ALBA n’a sans doute pas joué en sa faveur.
Cette base est bien utile aux Etats-Unis dans cette partie du monde qui vire à gauche toute depuis la dernière décennie.
Si cette base venait à échapper à l’armée US, il ne resterait plus que la présence militaire US en Colombie dans le cadre du contesté Plan Colombie, pour laquelle une action punitive hors des frontières colombiennes serait plus délicate à justifier aux yeux du congrès US.
L’autre atout de cette base est son emplacement géographique, fort pratique pour se projeter dans les pays alentour, riches eux en hydrocarbures : pétrole au Venezuela, gaz en Bolivie : Comment appuyer un coup d’état au Venezuela en 2002, une tentative de séparatisme en Bolivie et surveiller de près les autres gauchistes du coin sans une bonne vieille base militaire ?
Pour les sceptiques, je rappelle la grande période des Contras, paramilitaires d’extrême-droite financés par le trafic de drogue par la CIA, basés au Honduras pour lutter contre le gouvernement des sandinistes au Nicaragua voisin dans les années 80 au cours d’un conflit sanglant qui a traumatisé la population.
Et ceux que j’entends déjà crier que je serai un adepte de la théorie du complot, je les renvoie à la lecture du Projet pour Un Nouveau Siècle Américain qui sert de doctrine à la politique étrangère américaine depuis plus de 10 ans, notamment pour l’invasion de l’Irak, et dont l’un des principes-clé est de “défier les régimes hostiles à nos intérêts et nos valeurs.” [1]
Le traitement de ces 2 situations, élections et manifestations en Iran, coup d’état au Honduras, à la fois médiatiquement et diplomatiquement, est très cohérent, en ce qu’il nous conditionne pour la suite.
Côté iranien, l’abondance des récits sur la brutalité de la répression, la soi-disante menace nucléaire, les mises en demeure par les grandes puissances,, tout est fait pour nous préparer mentalement à une escalade et, suite logique des événements, à une agression armée de l’Iran par les forces occidentales [2], probablement par l’intermédiaire d’Israël, comme le laisse supposer la réponse du vice-président US Joe Biden sur l’émission This Week sur ABC le 5 juillet dernier [3] :
“Ecoutez, Israel décide lui-même, et personne d’autre, — il s’agit d’une nation souveraine — ce qui est dans son intérêt et ce qu’il doit faire par rapport à l’Iran."
[4]
Côté Honduras, l’absence ou la faiblesse des réactions occidentales, et quand il y en a, la véritable désinformation qui a lieu, nous conditionne mentalement à n’accorder que peu d’importance aux événements dans cette région du monde, pourtant cruciaux pour la construction de notre avenir commun. Et, en cette période de remise en cause des idéaux matérialistes et consuméristes, à nous désintéresser de la seule expérience alternative concrète à une hégémonie occidentale et capitaliste.