Kevin Dziadon : 1977-2005- In Memoriam

, par Alfred

Hommage à un ami, grand bassiste devant l’éternel. Sitarno.

Quand on parle de fin, il n’est pas toujours évident de trouver où commencer. La tristesse qui m’aura saisi à l’annonce de la mort de Kevin Dziadon est peut-être disproportionnée ; on ne s’écrivait que peu, et depuis que chacun de notre côté, nous avions choisi la vie d’expatrié, lui en Belgique, moi dans l’Illinois, on ne se voyait véritablement qu’une fois l’an.

C’aura été la musique, bien sûr, qui m’aura rapproché du Kev. Pas facile d’accès, de prime abord, le cowboy ; grande gueule doublée d’un don certain pour la répartie, il était plus évident de se froisser plutôt que de finir la page, si vous me suivez. On pourrait se perdre en conjectures, sur la vraie timidité des extrovertis, blablabla. Rencontrer Kevin et ses amis sans le connaitre pouvait être une expérience singulière. Nous avons tous des blagues réservées à un cercle serré, des anecdotes sur lesquelles on se replie si besoin est. Avec Kevin, c’était carrément un langage privé qu’il fallait découvrir. Nombre de nos amis, rebutés, n’allèrent jamais chercher plus loin. Pendant longtemps, j’avais moi-même eu mes doutes. Au final, c’est après beaucoup de tatônnements et en voyant une flamme s’allumer au fond de ses yeux à l’évocation de Fugazi que je m’étais dit qu’une fois encore, ma première impression n’était pas forcément la meilleure.

Clairement. L’ami officiait à la basse dans the Bargos Steeler, l’une des meilleures surprises musicales de mon séjour à l’Université d’Illinois à Urbana. La musique des Bargos Steeler était bien à l’image de Kevin, dans tous les sens, hyperactive, progressive, drôle et subtile. Dans le coin certains de ses amis appelaient ça construction rock, parce qu’il faut un nom pour tout et surtout pour ce qui est difficile à classer ; il y a quelques années on aurait appelé ça du post-rock, tout simplement, parce que c’est généralement instrumental, que les structures de morceaux ne répondent à rien de classiquement rock, parce que c’était virtuose sans être prétentieux, original sans forcer. Parler de musique et en entendre. A la proposition de Yasmine, sa compagne jusqu’aux derniers jours, Kate et moi avions donc été voir le groupe de Kevin, les bras croisés, prêts à tout. On ne sait jamais. Ils avaient mis le feu à Mike and Molly’s ce soir-la, Kevin et Dheeru se déhanchant comme deux diables sortis de leur boîte, éternellement sur ressorts, la subtile efficacité de leur batteur Aaron servant de tête de pont à la diabolique offensive.

Moi bien sûr, toujours mal à l’aise pour faire des compliments, je n’avais jamais trouvé les mots pour dire à quel point ce concert (plus que le deuxième) m’avait impressionné. Je n’aurais plus l’occasion de les voir, et bientôt Kevin déménageait pour la Belgique avec Yasmine. Là-bas aussi il aura répandu le groove, avec plus ou moins de succès.

La dernière fois que je l’avais vu, il m’avait donné une compilation cd de ses morceaux favoris de l’année, ainsi que ceux qu’il avait enregistré avec son nouveau groupe. Un certain changement de direction, globalement plus calme et moins à mon goût, mais l’ami vivait dans une ville étrangère où il avait du mal à trouver un boulot, ou même des affinités musicales suffisantes pour fonder un groupe. Lui, au moins, contrairement à d’autres, se bougeait le cul.

Alors depuis Noël, je n’avais pas trop de nouvelles. Vous savez comment c’est, internet, c’est tellement facile d’écrire qu’on écrit beaucoup moins souvent. C’est en rentrant d’un de mes boulots à la con au beau milieu de Chicago, soulagé d’avoir fini, profitant de l’air conditionné dans le train par 35 C à l’ombre que la nouvelle m’est tombée dessus, sale coup de fil sur un sale portable.

Kevin a été enterré le 28 juillet à Bourbonnais, sa ville natale dans l’Illinois. C’était il y a deux semaines. Classic Steve tourne à fond les ballons dans mon lecteur CD depuis, une forme d’hommage, j’imagine. Si le contact du label semble s’être volatilisé, on peut encore se procurer le CD, semble-t-il, ici, mais je suis sur que Dheeru pourra renseigner les curieux. Ça vaut le coup. On site vient aussi d’ouvrir ou l’on peut écouter quelques-uns de ses morceaux belges (ici).Il n’est pas trop tard pour rencontrer Kevin, et vous le trouverez dans les improbables lignes de basse des morceaux de Classic Steve.

Repose en paix.

Sitarno !

P.-S.

Vous pouvez lire l’article de son vieil ami John Steinbacher ici en anglais.