En guise d’introduction : à propos de bell hooks, du féminisme, des noirs, des gays et de la France

, par LaPeg M. 

Nous publions un texte de bell hooks, « De l’homophobie dans les communautés noires américaines ». Petite remise en contexte local, présentation de l’auteure et explications à propos du pourquoi.

“I will not have my life narrowed down. I will not bow down to somebody else’s whim or to someone else’s ignorance.” [1]
bell hooks

Une fois n’est pas coutume, et afin d’amorcer une nouvelle phase dans le travail de Melanine.org et de notre collectif Rummenigger, nous publions, avec l’autorisation de South End Press son éditeur, une traduction d’un texte de bell hooks, « De l’homophobie dans les communautés noires américaines », extrait de son livre Talking Back : Thinking Feminist, Thinking Black (Cambridge : South End Press, 1989)
bell hooks est une intellectuelle, une féministe et activiste américaine. Elle a développé une pensée critique des relations entre "race" [2], genre et classe et comment ces connexions contribuent à la reproduction des dominations économiques et politiques. Issue d’une famille de "working poor", elle croit que pour que les féministes continuent à être des forces de proposition, il faut qu’elles reviennent à leur travail de terrain, à un activisme basé sur des pratiques politiques et sociales, sans pour autant délaisser les bancs des universités. C’est ce qui l’a amené à utiliser un langage facile d’accès dans ses écrits, à décapitaliser son nom et son prénom de plume et à favoriser la circulation de ses textes.

Peu connus en France, ses travaux sont des références dans les pays de l’Est ou ses analyses comme celles de féministes latinos ou indiennes telles que Gloria E. Anzaldúa, Ana Castillo, ou encore Cherríe Moraga, Chandra Talpade Mohanty et Paula Gunn Allen, permettent aux activistes d’appréhender les « oppressions multicouches » qu’elles combattent. D’une certaine manière, le manque d’intérêt pour ces écrits du côté francophone de la galaxie, s’explique à la fois par la tendance « abstraite » du féminisme français et l’incompréhension, dont les procès en sorcellerie sur le voile sont un bon exemple, de la complexité d’approche que demande une société multiculturelle et « multiraciale ». Le bulldozer du républicanisme hardcore, celui du je ne veux voir qu’une tête et n’entendre qu’une langue est encore passé par là. Ceux et celles qui s’étonnent que le « karcher » ait gagné les élections présidentielles n’ont qu’à s’en prendre à la merde qu’ils ont laissé sécher sur leurs yeux.

Critique interne, critique externe

Notre choix s’est porté sur un texte de bell hooks traitant de l’homophobie dans la communauté noire américaine à l’heure ou les seuls échos dans les médias concernant les « Noirs » et l’homosexualité résonnent à l’unisson d’un « les noirs sont des super homophobes », sans par ailleurs vraiment se soucier des victimes de cette homophobie et du soutien à leur apporter. L’homophobie des Noirs est une bonne façon d’évacuer la sienne, de pointer chez l’autre ce que l’on ne veut pas voir chez soi. Encore une fois, la critique interne n’est pas la critique externe. Dans un contexte où le racisme traverse tous les discours portés sur la société, la violence, la criminalité, les rapports hommes femmes, et où les Noirs et les Arabes sont relégués socialement, on ne peut regarder la prolifération d’articles portant sur la « Murder music » homophobe qu’avec un œil suspicieux. Pourquoi les medias sont-ils aussi prompts à relayer ce problème ? Dans le même temps, si elle n’est elle-même pas exempte de problèmes liés aux territoires et aux classes, la critique interne amorcée par exemple par un groupe comme An nou allé nous semble tenir d’une autre démarche [3] urgente et nécessaire : se battre à la fois contre le racisme dans la communauté homosexuelle et l’homophobie chez les afro-européens, aux Antilles et chez les migrants africains tout en s’essayant aux solidarités internationales, voilà un travail ambitieux et semé d’embûches qui doit être soutenu.

Mais. Mais. Mais. La question du traitement de l’homophobie est indissociable des questions de classe, de sexe, du capitalisme et des représentations que se donne la communauté homosexuelle et pas seulement de l’éducation des hétéros au respect des différences... Le discours sur l’homophobie des Noirs s’inscrit dans cette complexité ou « l’homosexualité » est perçue comme une violence sociale, coloniale et de classe, matinée de construction d’un bouc émissaire facile [4] dans des contextes de repli régionaux ou nationalistes. L’homophobie se constitue donc aussi pour partie comme réaction à la débauche de thune, les comportements débiles de touristes de masse gay et l’imposition de classe que représente une certaine visibilité mainstream.

“Being oppressed means the absence of choices.” [5]
bell hooks .

Les modèles que se donnent les gays ce ne sont pas des noirs ni des arabes des classes populaires, sauf dans une certaine pornographie wesh wesh. Quelle place laisse la communauté gay à ses Noirs et à ses Arabes : la même que le reste de la société, ni plus ni moins, c’est à dire qu’ils sont relégués à la périphérie exotique dans le meilleur des cas. On va me parler de solidarités internationales, je vais répondre : « JE TE PARLE D’ICI ET DE MAINTENANT ! Je te parle de gens qui ont été sur les même bancs d’école que toi et qui marchent dans les même rues. Je te parle des NOIRS, DES ARABES, DES LESBIENNNES, DES PAUVRES ET DE TA COMMUNAUTÉ A DEUX VITESSES. » La vie « out » en milieu hostile ou le placard près des siens ...

Penser la complexité

Mais revenons à la publication du texte de bell hooks car c’est aussi une adresse aux féministes, aux féministes noires aussi et c’est une des autres nombreuses raisons pour laquelle nous la publions aujourd’hui. bell hooks est féministe et noire et américaine et c’est depuis cet endroit qu’elle s’exprime. Elle décrit dans « De l’homophobie dans les communautés noires américaines » une réalité, complexe, multicouches en essayant d’en rendre compte avec honnêteté tout en gardant comme étalon sa position de féministe noire et américaine.

bell hooks a écrit Ain’t I a woman : Black Women and Feminism, South End Press,1999 et Feminist Theory from Margin to Center, South End Press 1985, Feminism is for Everybody, South End Press, 2000 ou encore Rock My Soul : Black People and Self-Esteem, Washington Square Press,2004 ou Where We Stand : Class Matters, Routledge, 2000. Aucun de ses textes n’est aujourd’hui traduit en français.

http://www.allaboutbell.com/

Lire : « De l’homophobie dans les communautés noires américaines »


Pour obtenir l’autorisation de publier « De l’homophobie dans les communautés noires américaines » prière de contacter directement South End Press. Pour l’autorisation de publication de cette traduction merci de nous contacter : melanine@melanine.org.

Contrairement donc au reste du site, le texte de bell hooks n’est pas sous creative commons et ne peut être reproduit sans autorisation. Les contrevenants seront pendus par les pieds et seront obligés de se lever tôt et seront contraints d’écouter Mireille Mathieu à fond en respirant des gaz lacrymogène.

Notes

[1Je ne laisserai personne poser des limites à ma vie. Je ne reculerai ni devant le caprice, ni devant l’ignorance de qui que ce soit.

[2L’utilisation du terme "race" par hooks et nombre de penseurs américains n’implique pas qu’ils croient à l’existence de races humaines au sens biologique. Il s’agit par l’usage stratégique de ce terme de recouvrir un concept politique, culturel et social et ses connotations. Les races n’existent pas scientifiquement, mais il reste qu’elles ont une importance et une signification sociales.

[3Dans la mesure où la mobilisation des réseaux médiatiques pour faire entendre sa voix n’édulcore pas la complexité de son discours...

[4A ce propos lire le courageux travail de Charles Gueboguo, « Afriques et homosexualité, pour une lecture revue et corrigée de l’homosexualité dans la pensée doxique africaine », L’arbre à palabres, février 2007. Nous reviendrons sur le lien entre nationalisme et homophobie à l’occasion.

[5L’oppression, c’est ne pas avoir le choix.