Nos amis les noirs (1) : les révoltés de la Bounty

, par LaPeg M. 

Deux magazines (De l’air et Technikart) viennent de publier un dossier sur les Noirs en France quasiment coup sur coup. Pas mal de négrophilie dans le tas, quelques idées, des conneries [1] et des raccourcis langagiers comme on aime tant. Après "issus de l’immigration" voici l’arrivée d’une cargaison de Bounty....

Voilà une expression toute faite qui plait bien à tout le monde chez les vsd pour jeunes, l’image est parlante : noir dehors, blanc dedans.

Comme "issu de l’immigration" c’est bien, ça ne dit pas grand chose, mais ça résume tout. Issu de l’immigration c’est le nouvel euphémisme pour dire "de couleur(s)" , ou simplement arabe. On l’utilise par exemple dans une phrase comme "L’agresseur, issu de l’immigration, a été remis en liberté". Mais on ne dit pas "Patrick Devedjan, issu de l’immigration est un ancien d’Occident".

Technikart et De l’air démarrent tous les deux sur le mode : bien sur parler de communauté c’est exagéré, et passent tout le dossier à la délimiter. J’aimerais aussi balayer d’un revers cette idée (il n’y a pas de "communauté noire") mais c’est assez difficile : l’expression résume un mélange de fantasmes et de réalités, et on en sort vraiment jamais. Ici même par exemple. La communauté d’expériences négatives est suffisament forte (de l’esclavage aux sans papiers) pour qu’elle donne une impression de destinées et donc d’intérêts communs. L’apparence physique aussi, même si les hierarchies de la noirceur délimitent les territoires de l’imaginaire social et donc de l’expérience selon le taux de mélanine.

Oui, il n’y a en même temps rien et quelque chose de commun entre "un antillais middle class obsédé d’intégration" [2] et une employée sénégalaise de chez Accord. Et oui, il y a quelque chose de commun, entre le désastre haïtien ou jamaïcain et la situation sud-africaine. Sentimentalement et objectivement. Cependant, voir des affamés, qu’ils s’écroulent contre la porte au nord du stade de foot coréen ou qu’ils crèvent au Malawi heurtent la sensibilité et révoltent de la même façon. La "communauté noire" est en fait plus potentielle que réelle.

Eclatement et multiplicité

Donc le terme de communauté ne marche pas très bien, on peut essayer celui de diaspora, ça a au moins le mérite de sous entendre l’éclatement et la multiplicité. En plus ce terme s’accompagne d’un champ sémantique interessant : migration, exil, imaginaire du retour... qui est opérant. Utiliser le terme de diaspora c’est aussi dire qu’il s’agit à la fois de questions d’imaginaires et de constructions sociales, individuelles et collectives qu’elles prennent des formes dramatiques, conflictuelles ou folkloriques. Utiliser le terme de diaspora c’est aussi dire que ces gens dont on parle, ces noirs qui fascinent et saoulent, sont le fruit d’exils et de migrations complexes. Les antillais sont par exemple en transit permanent depuis des siècles. La diaspora d’une diaspora. Un groupe identifié sans identifiant qui se construit sur ses exils successifs, un peu toujours sur le bateau, moins à fond de cale, ça se bouscule sur le pont...

Mais je m’éloigne. "Nos amis les noirs" sera une série, je les prendrais à la loyale un par un. Ici, maintenant on parle des Bounty. Ou au moins de l’utilisation du terme Bounty.

Dans les pages de Technikart ou De l’air (comme du vent, du balais, de l’air ?) et dans la bouche de ceux qui utilisent ce vocable plutôt péjoratif(que je n’ai jamais personnellement entendu dans la pratique) désigne donc celui ou celle qui est noir dehors et blanc dedans.

Cette acception implique évidemment qu’être noir à part le faite de l’être ce qui est relativement objectif, ça soit autre chose. Qu’on ne dise jamais vraiment quoi, on s’en tape, on en parle tous sans poser de définition, ça devrait suffire. On sait tous de quoi on parle non ?

Etre noir c’est devoir se positionner par rapport à un ensemble de représentations. C’est devoir se justifier en permanence d’une individualité par rapport à un groupe dont la définition évanescente facilite les rapports individuels et médiatiques qui sont FORCEMENT raciaux.

Etre noir c’est finallement toujours se positionner par rapport à un système complexe issu de la prééminence du discours construit au cours de la période esclavagiste puis coloniale. Et se positionner par rapport c’est toujours être dedans.

Etre noir c’est ne pouvoir être soi-même qu’au prix de luttes incessantes et quotidiennes. Car, enfin, que dit d’autre le terme Bounty. Qu’ être noir c’est être prisonnier de représentations, de conditions sociales et de représentations de conditions sociales. T’es noir, tu viens de la banlieue. Si ce n’est pas le cas, c’est un peu suspect. Etre noir c’est être obligé de se positionner. Entre le boubou et la cravate (cf. De l’air [3]. Si tu choisis la cravate. BOUNTY. Si tu as des amis et que tu t’en fous de leur origine. BOUNTY. Si tu ne vas pas en zouk. BOUNTY. La liste est longue. Bad Brains. BOUNTY. Kofi Yamgnane. Bounty ? Pocrain chez les verts. BOUNTY et petit pion.

Une catégorie sociale bien pratique

Le terme est hérité, je pense du "Peaux noires, masques blancs" de Frantz Fanon. Comme d’habitude, j’ai l’impression qu’on ne lit pas les même livres, que notre dictionnaire ne livre pas de définitions communes. Et les raccourcis sont si faciles. Là où l’analyse politique posait des questions et cherchait des réponses, la presse et le mec qui se cherche voient une catégorie sociale bien pratique.

On sent Technikart pas très à l’aise sur le sujet, ils se questionnent essaient de sortir des clichés tout en en jouant, et pour une fois, je vais faire dans la nuance et reconnaître que je pense qu’ils sont pas totalement complètement mauvais sur le coup . Ca tatonne. A leur façon un peu limite, ce qui est un autre problème.

De l’air est par contre dans les choux mais les photos sont belles, pourquoi faire des textes. La tendance est floue et le projet du magazine un peu aussi. Là où ils se surpassent c’est quand ils déplorent le fait qu’on a pas de chiffres sur le nombre de noirs en France, sans pointer les raisons de cette impossibilité. Ni murmurer que ça a un côté plutôt heureux qu’on ne le sache pas. C’est plutôt heureux, car ça veut dire qu’ au moins dans le projet de la société française on s’en fout de la couleur de ta peau, même si dans les faits (voir d’autres articles sur ce même site) ce n’est pas le cas. Après qu’on trouve que les Noirs soient invisibles, il n’y a peut-être un lien, bien que je ne le crois pas. Les Noirs, comme les "autres pas de chez nous chez qui ça se voit [4]" ne sont pas invisibles dans la société française, ils sont cantonnés dans des réserves géographiques et médiatiques (baballe, musique et faits divers).

Le BOUNTY est une figure qui plait bien, je disais. Son succès chez les non-noirs ,-)) est liée à la figure du noir endimanché ou avec un casque colonial. C’est toujours un peu marrant, ces négros en rangs pour aller à la messe, les grands enfants de la sappe sont toujours à la ramasse quoi qu’ils fassent.

J’ai vu récemment Bamboozled qui me réconcilie avec Spike Lee. Franchement bien vu. Dans ce film il y a un collectif de rap dont l’un des membres est à je sais plus quel pourcentage minime noir. Je trouve ça franchement drôle, ça me fait penser aux reggatta de blanc et prolonger ce que je voulais dire par rapport au terme BOUNTY, c’est : demain tous noirs !

Nigger as an attitude

Tu aimes le rap et le reggae tu portes des dreads alors tu es plus noir que noir, non ? Plus noir que le fan de classique étudiant en socio en costard. Plus noir que moi avec mon harrigton. Comme le directeur de la compagnie qui produit Bamboozled dans le film qui se dit plus noir que le noir qu’il a en face de lui parce que sa femme l’est, qu’il est à fond dans le hiphop et qu’il apelle tout le monde frère (ou un truc dans le genre). Parce que Noir c’est finallement pas tant la couleur de ta peau dans les représentations. C’est une attitude. Dans les faits, pourtant c’est assez simple et ça va assez vite : il suffit de se regarder non ? [5]

Technikart titre : la révolte du Bounty. Pas mal. J’enchaîne et reprends le titre initial les révoltés de la Bounty [6]. Parce que la Bounty n’est plus perdue dans le pacifique mais dans les atlantiques noires, ce quelque part entre l’ancien et le nouveau monde, et fait l’aller et retour entre les côtes. Comme un vaisseau fantôme, ce navire piraté part vers Jupiter quand il est drivé par l’electronik diaspora. Pour tous les autres il reste à quai,personne ne peut descendre.

Que ça se mutine à bord, ca ne veut peut-être pas forcément dire qu’on assiste à un "repli identitaire" qui semble foutre carrément les chocottes du côté de chez De l’air, mais la volonté de se penser soi-même. Bien sûr, quand on entend le collectif égalité débiter ses conneries, ça fait peur. C’est vrai qu’on entend qu’eux ou les business men du secteur A et leur volonté de passer à la télé. Mais ça , ce sera dans un autre épisode de notre série soap opéresque "Nos amis les noirs". Bientôt sur cet écran...(à suivre)

Notes

[1D’entrée par exemple dans l’ouverture du dossier un intertitre : degré de Melatonine - je rappelle que la mélatonine est une hormone, la mélanine un pigment qui colore la peau, les cheveux, les yeux en fonction du niveau de sa concentration.

[2Technikart n°61

[34,40 euros - en kiosque)

[4J’ai faillit mettre "étranger" ou "immigré"... C’est triste de voir comment on est imprégné par le vocabulaire même quand on ne le veut pas.

Lire et relire par exemple le travail réalisé par Les mots sont importants : "(...) l’acception raciale du mot « immigré » se retrouve dans l’expression courante « immigrés de la seconde génération » : l’immigration n’est alors plus un acte qu’on accomplit, mais un stigmate transmissible de père en fils. Et nombre de journalistes reprennent ce langage, en particulier quand ils évaluent à l’oeil nu le « nombre d’immigrés » vivant dans un quartier ou une ville, ou à chaque fois qu’ils qualifient d’« immigré » quelqu’un sans savoir où il est né.(...)

[5Je sens les récriminations contre la gauche antiraciste repointer leur nez...

[6Voir par exemple la version de Jules Verne