Attention, ça va Zaïre !

, par _Biokill

Les étals des bouquinistes, entre deux S.A.S, nous réservent des surprises à un ou deux euros... Des romans épuisés, trop tôt enterrés, qu’on prend plaisir à exhumer.

Publié chez l’Harmattan en 1984, Traite au Zaïre, ce livre "ovni" signé d’un auteur inconnu - difficile de trouver quoi que ce soit sur lui - est un livre violent, à la narration et à la trame classiques, qui laisse un profond dégoût du monde quand on le referme. Sa forme et son écriture me font penser à des polars suédois comme ceux de Maj Sjowall et Per Walhoo. Sauf que l’histoire nous entraîne du Matongué (quartier zaïrois de Bruxelles) à Kinshasa. Des friteries d’Ixelles aux rives du fleuve Zaïre.

La note introductrice est un avertissement : même si les lieux et les noms ont été modifiés, "les faits relatés dans ce roman sont basés sur des éléments absoluments authentiques."

Une gamine se fait assassiner sous les yeux du docteur Mutoko, chaussée de Wavre, à Bruxelles. Interdit de sortie de territoire, il fait appel à un ami diplomate pour pouvoir se rendre au Zaïre comme prévu. On est dans les années 80. Joseph Desire Mobutu Sese Seko, le "kleptocrate", est toujours en place. Le pays s’appelle encore comme son fleuve massif. Le diplo lui apprend que la gamine, 13 ans au compteur, était une prostituée qui, tentant de s’échapper, avait été rattrapée par ses bourreaux.

Mutoko est honteux et furieux, l’ambassade était au courant du traffic puisque la mise sur le marché des gamines est un moyen facile pour les "hauts perchés [1]" zaïrois de récupérer des devises...Quelqu’un doit ramener la dépouille de la gamine à ses parents. Ce sera Mutoko qui s’en chargera.

Voilà le zaïrois de Belgique, seul contre tous. Les démissionnaires, les corrompus et les corrupteurs, les étudiants révoltés et ceux avalés par l’appareil politico-financier, les barbouzes et les autres. Tous les autres. À essayer de démêler l’écheveau des responsabilités et à constater, la rage au ventre, l’étendue des dégâts.

Prostitution généralisée, pour payer le transport ou les fournitures scolaires, clients partout, justice nulle part ! Mutoko va de charybde en scylla dans cette histoire bien dégueue de traite de mineures. "Ici, c’est la guerre pour la survie, Toko. La soumission et la corruption sont les seuls moyens pour éviter la famine, la torture, voire la mort.", lui explique un de ses amis.

2002. Espérer que les faits qui ont inspiré ce roman soient révolus. Savoir qu’il n’en est probablement rien. Que c’est sûrement pire et que c’est pas près de s’arrêter. Les Kinshasa sont partout, à l’est et dans tous nos suds. L’épidémie de Sida n’a fait qu’augmenter l’attrait des clients pour les gamines vierges [2]. Et ce vieux roman, comme un levé de voile sur le cœur des ténèbres.